Le prétexte de ce thread était la réponse à un article de presse :
Face à de telles échelles de temps, aucune solution de confinement ne peut garantir une absence de contamination à long terme. C’est le principal argument des opposants au projet Cigéo.
Rah, je suis désolé, mais là, va falloir jouer sur les mots…
Ça veut dire quoi, garantir ? Aucune définition ne m’éclaire : est-ce que « garantir » sous-entend une certitude à 100% ?
Si oui, l’argument est fallacieux.
Si non, le propos est mensonger.
Si oui, on est dans un biais de recherche de solution parfaite et donc un rejet systématique de toute solution qui ne garantirait pas un risque rigoureusement nul. Or, il est impossible, peu importe ce dont on parle, de démontrer l’inexistence d’un risque. D’où le fallacieux.
Peu importe de quoi l’on parle d’ailleurs, même hors nucléaire. Attendrez-vous que les hôpitaux vous « garantissent » un risque nul de contracter une maladie nosocomiale pour y faire soigner un proche ?
Et si l’on suppose que la rédac’ en est consciente ?
Si l’on suppose qu’on parle en fait de garantir « avec un risque raisonnable », il est juste faux de prétendre qu’aucune solution ne le propose. C’est le principe du confinement en couche géologique profonde.
Autrement dit, dans cette introduction, on nie l’existence de solutions, pour pouvoir clamer qu’aucune solution n’existe… L’astuce classique sur le sujet des déchets nucléaires. Et ça explique l’opposition radicale des antinucléaires contre le stockage. Plus que le risque du stockage, ce qu’ils craignent, c’est que leur discours perde encore en crédibilité. Difficile de clamer « aucune solution, c’est un danger permanent ! » une fois qu’on aura commencer à descendre des colis dans leur dernière demeure… Continuons.
Plutôt que de se presser d’enterrer ces déchets avec le risque de voir de la radioactivité ressurgir un jour
Deux fautes.
1) « Se presser »… Sérieusement ? On prévoit de descendre quelques colis, les plus anciens, dans la décennie 2030, dans une zone dédiée à ceux-là, un peu à titre d’essai en conditions réelles. Et le vrai remplissage sera pour la deuxième moitié du siècle ! Et le site ne serait scellé que dans les décennies 2120-2130. Donc en fait, on prévoit de prendre une décision irréversible dans 100 ans, pas avant, et on se presse ? Faudrait attendre combien de temps ? 200 ans ? 500 ans ?
Et ce sont souvent les mêmes qui vont dire « il ne faut pas léguer aux générations futures la charge de NOS déchets » puis « attendons deux ou trois siècles au moins en gérant les déchets à la surface avant de chercher à les isoler définitivement ». WHAT ?
2) Le risque de voir la radioactivité ressortir… Ça ne veut rien dire. La radioactivité, c’est un phénomène, c’est le terme qui décrit la transformation d’un noyau d’atome en un autre par le biais d’une émission de particule. Et souvent, ça s’accompagne de la désexcitation d’un noyau haut en énergie par le biais de l’émission d’un photon de haute énergie (X ou γ). C’est un phénomène, pas une particule ni de la matière. Ce dont ils croient parler, c’est d’une remontée en surface des atomes radioactifs, ou radionucléides, ou radioéléments. C’est bien de la propagation d’atomes dont on parle.
Et leur remontée en surface, ce n’est pas un risque : c’est leur destin.
Même dans les roches les plus étanches, on sait que le béton, l’acier et le verre vont très, très très lentement se dégrader, se corroder. Et que peu à peu, des radioéléments vont être absorbés dans la roche et les eaux qui l’imprègnent et diffuser dans toutes les directions. Ils vont essentiellement diffuser horizontalement, très peu verticalement, et donc très peu vers la surface. Mais inéluctablement, si on se projette sur des durées extrêmement longues, ils finiront par atteindre la biosphère. Nappes phréatiques, terres cultivées, surface, peu importe. Ils vont finit par atteindre le vivant. Après des durées EXTRÊMEMENT longues. Si longues que les « radioéléments » auront perdu leur « radio » !
En effet, vous savez que la radioactivité décroît avec le temps. Concernant les déchets de haute activité à vie longue, comptez 100 000 ans pour qu’une tonne de déchets redevienne aussi peu radioactive qu’une tonne de minerai d’uranium tout ce qu’il y a de plus naturellement répandu dans le monde.
Donc à long terme, la radioactivité de ces déchets sera noyée dans le bruit de fond de la radioactivité naturelle. Sans impact possible sur le vivant, donc. Ajoutez à cela qu’ils vont énormément se diluer dans la roche. C’est à dire qu’en 100 000 ans, une tonne de déchets sera aussi radioactive qu’une tonne de minerai, mais cette radioactivité sera répartie sur 10 000 tonnes (nombre au pif) de roche.
Et c’est là le principe de Cigéo ! Non, on ne prétend pas à un confinement parfait sur une durée éternelle. Mais un confinement tellement poussé que le temps que les radioéléments quittent ce confinement, ils soient devenus inoffensifs.
Je vous parle du point de vue de la sûreté, qui considère qu’on a besoin de 100 000 ans. Mais quand j’ai visité le laboratoire souterrain (encore merci à l’ANDRA pour ça, et à nos guides sur place), ils parlaient en millions d’années, là-bas ^^.
Au passage, les photos de la visite…
Ça vous paraît invraisemblable, une durée pareille ? Réfléchissez au temps qu’il faut déjà pour infiltrer le béton, corroder un décimètre d’acier et l’infiltrer aussi, corroder quelques centimètres d’inox… Puis corroder du VERRE. Du verre dont la formule est spécialement élaborée pour durer, d’ailleurs. Un petit bijou de chimie. Au nez, comme ça, je pense qu’on a déjà écoulé 10 000 ans avant de réussir à charger l’eau souterraine en radionucléides… Et à ce stade, on n’a pas encore vraiment commencé à mettre à profit le caractère géologique, et les 60 m d’argilite presque imperméable qu’on a au-dessus des déchets, où la vitesse de propagation de l’eau se mesure en cm/millénaire. Et les 300 mètres de roches diverses au-dessus. Bon, ben du coup, avec l’émotion, j’ai énormément dérivé sur Cigéo… On en revient à Altereco ?
Pourquoi ne pas donner davantage de temps […] à la recherche afin de trouver des solutions qui pourraient neutraliser leur dangerosité ?
On lui donne au moins 100 ans supplémentaires, pour le moment. C’est plutôt pas mal, non ? Il faudrait combien ? Faut quand même prendre une décision un jour, non ?
Ensuite, ce bon vieux Bernard Laponche nous rappelle qu’initialement, trois axes étaient à l’étude : stockage géologique, entreposage en (sub)surface, et séparation-transmutation. Sans lire la suite, je le connais, il va dire qu’on a tout écarté arbitrairement au profit du seul stockage géologique en arrêtant toutes les recherches. Évidemment que non.
Il a été décidé, en 2016 je crois, de retenir le stockage géologique comme solution de référence, c’est vrai. Qu’en est-il des deux autres axes ?
La séparation-transmutation, qui consiste à trier les différents radionucléides et leur faire subir des transformations nucléaires pour réduire leur activité et leur demi-vie, le CEA s’est longuement penché dessus. C’est plein d’avantages, ça fait des déchets moins volumineux, moins chauds, qui nécessitent des stockages moins longs… Mais qui en nécessitent toujours. Le CEA a démontré que la séparation-transmutation n’était PAS une alternative au stockage géologique. Un complément indéniablement intéressant, oui, et, d’ailleurs, les études continuent. Mais c’est un procédé coûteux, complexe, et qui, évidemment, présente ses risques intrinsèques. Donc on prévoit de faire sans, et s’il est mature à temps… Tant mieux ! On a un siècle.
Ensuite, l’entreposage en surface ou subsurface (à faible profondeur) : bah… C’est de l’entreposage. C’est tout simplement pas fait pour durer. Ça nécessite soit de la maintenance régulière, soit de reprendre les déchets, tous les 100 ans peut-être pour les entreposer dans un nouveau site. Donc ça lègue la charge de la gestion, des risques, des coûts aux générations futures, pour une durée indéterminée. Ce n’est pas une réponse au cahier des charges communément admis, que je sache.
Et c’est là l’astuce de Laponche, en général : laisser oublier que le but est de ne pas léguer la gestion des déchets aux générations futures. Forcément, si on modifie l’un des points clés du cahier des charges de Cigéo, Cigéo, perd aussitôt en intérêt.
En résumé : aujourd’hui, il n’existe aucune alternative au stockage géologique qui réponde aux mêmes exigences d’éthique (responsabilité vis-à-vis des générations futures) et de sûreté (confinement passif à très long terme).
Nota : viendront un jour un thread et un billet de blog ayant pour but de synthétiser le panorama des alternatives au stockage géologique. Suivez-moi sur Twitter 😉
Spoiler : il n’y en a que deux vraiment sérieuses. L’une est une sorte de variante de stockage géologique, la seconde consiste à entreposer et donc attendre indéfiniment.
Et aucune en perspective.
Néanmoins, on s’est lancés sur environ 100 ans avant de prendre une décision irréversible. Considérant que c’était un bon compromis entre « louper toute chance de trouver une alternative » et « attendre une solution inédite éternellement ».
Personnellement, ça me choque pas comme choix… Et je connais personne qui le conteste directement. En général, les opposants se contentent de ne pas l’expliquer, et de dénoncer soit l’absence de toute solution durable, soit la précipitation vers la première solution durable qu’on trouve. Parfois ils reprochent les deux. À la fois. Meh.
Du coup, dans le cadre des débats actuels et futurs sur le sujet, si je devais donner un seul conseil… Commencez toujours par exposer les faits, l’état initial, l’objectif. Pour être sûrs de parler de la même chose, et parler en connaissance de cause.
Et éviter de débattre sur la pertinence d’un projet que personne ne porte, d’un propos que personne ne tient, d’une idée que personne ne défend.
D’expérience, en général, concernant Cigéo… Suffit d’expliquer le sujet pour que le débat se termine.
Comme ici. En expliquant les principes de Cigéo, je ne peux plus vraiment contester les propos tenus dans ce début de l’article d’Alter Eco… Puisque ces propos n’ont tout simplement plus lieu d’être ! T_T
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