L’immersion en zone de subduction

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Des immersions de déchets radioactifs, 14 pays en ont fait, entre 1946 et 1982. La Russie a poussé jusqu’en 1993. Il s’agissait essentiellement de déchets de faible et moyenne activité. Il y a environ 42,2 PBq qui ont été immergés dans l’Atlantique Nord-Est, 38,3 PBq dans l’Arctique, et 4,5 PBq dans le Pacifique.

Petit rappel : le Becquerel, noté Bq, est l’unité de mesure de la radioactivité. Quand on dit d’une matière radioactive qu’elle émet 10 Bq, c’est qu’il s’y produit 10 désintégrations par seconde. Il s’agit d’une petite unité : le corps humain, naturellement, émet déjà autour de 8000 Bq. Donc dans la pratique, on utilise les multiples comme le kilobecquerel (kBq). Ici, on parlera de très fortes radioactivités, en pétabecquerels : millions de millards de désintégrations par seconde.

Pour vous donner un repère de comparaison, un colis de déchets vitrifiés produit à la Hague, en France, lors de sa coulée, c’est 16 PBq.

Donc l’ensemble des dizaines de milliers de tonnes immergées par ces 14 pays représentent, en termes d’activité, 5-6 colis de verre (on en produit 800 par an). Vous comprenez qu’ils ont pas non plus immergé tout et n’importe quoi. Et qu’on ne peut pas TOUT immerger n’importe comment.

Le rôle de la France dans tout cela est relativement marginal : elle a participé à deux campagnes d’immersions. Mai-Août 1967, 11 000 tonnes de déchets ont été immergés par l’Allemagne, la Belgique, la France, le Royaume-Uni et les Pays-Bas. Activité totale : 0,3 PBq, dont 0,2 par la France à elle seule.

Deuxième campagne, juillet-août 1969, l’Allemagne en moins mais la Suède et la Suisse en plus, avons immergé 9000 tonnes de déchets, pour 0,9 PBq dont 0,1 par la France. Puis, en France, on s’est arrêtés là, avec l’ouverture du Centre de Stockage de la Manche.

Ce sont juste les dunes herbeuses au centre. L’usine derrière c’est l’usine de retraitement, pas du stockage de déchets.

La logique derrière ces immersions n’était pas absurde : emmener les déchets loin des personnes pour éviter qu’ils nuisent à court terme et décroissent un peu. Puis, à moyen-long terme, laisser l’océan diluer la radioactivité pour éviter d’avoir des concentrations importantes et donc nocives.

Bon, sauf, évidemment, localement. Là où les déchets sont déposés, la concentration en radioactivité va être élevée, mais c’était, je suppose, admis comme un moindre mal. Et d’un point de vue purement physique, ça se défendait assez bien !

Ce sont des questions d’éthiques, de protection des fonds marins, et de droit international qui ont eu raison de cette pratique. Je dis pas qu’il aurait fallu continuer, mais je pense qu’il n’y a pas à déplorer cette ancienne pratique. C’était normal dans le référentiel de l’époque, ça ne l’est plus dans le référentiel d’aujourd’hui, parce que les standards évoluent. Il n’y a pas non plus d’impact sanitaire à craindre, ou d’impact environnemental particulièrement sévère à attendre.

Concernant le droit de la mer, c’est le transport des déchets qui a été le plus bloquant. Le risque d’accident durant le transport et de dispersion incontrôlée a été jugée rédhibitoire par rapport aux conventions internationales.

Il y a aussi la notion de « patrimoine commun de l’humanité » pour la haute mer, ou encore les inégalités d’accès à la mer d’un pays à un autre. Bref : sauf cas particuliers convenus sous l’égide des Nations Unies, les déchets radioactifs en mer, c’était plus possible.

Malgré tout, il y a eu des brillantes idées, des recherches qui ont été poussées assez loin, qui méritent d’être évoquées. Je dis pas qu’il faudrait les remettre sur le devant de la scène, je vous les présente juste.

Je vous ai dit que l’immersion pratiquée au XXè siècle visait à disperser de manière relativement contrôlée les radioéléments pour qu’ils se diluent progressivement. Aujourd’hui, les déchets, on cherche plutôt à les gérer par confinement… Mais la mer peut offrir aussi cette fonction ! Deux procédés ont été envisagés : enfouir dans les sédiments, ou sous la croûte terrestre.

On garde le premier pour la prochaine fois, on parle du second aujourd’hui ;-).

Les fosses océaniques se forment là où une croûte océanique passe sous une plaque continentale et s’enfonce progressivement dans le manteau terrestre. L’idée serait de déposer les déchets là, et les laisser porter dans le manteau terrestre par ce mouvement. Façon tapis roulant.
À priori, c’est séduisant : dans le manteau, sous la croûte terrestre, les déchets commencent à être à bonne distance de la biosphère, ça va être dur d’imaginer qu’ils remontent des kilomètres de roche ou d’océan pour revenir nous empoisonner.

En plus, les sédiments qui s’accumulant par-dessus viendraient un peu jour le rôle de clapet anti-retour. Sceller par derrière les chemins possibles pour les radionucléides qui finiraient immuablement dans le manteau. Ce qui a brisé le rêve, c’est « l’extrême lenteur du phénomène de subduction et la vitesse encore plus lente des processus de sédimentation ». Deux cas ont été identifiés, tous les deux assez déplaisants :

  • Subduction lente : on observe dans ce cas un phénomène d’arasement lors de la plongée d’une plaque sur l’autre. Dans ce cas, les déchets ne viendraient pas s’enfoncer dans le manteau mais s’accumuler au lieu de la subduction. Échec du plan.
  • Subduction rapide : bon, déjà, c’est relatif, « rapide » : dans le meilleur des cas, on parle de 10 cm/an, 10 000 ans pour parcourir 600-700 m horizontalement et 350-400 m verticalement. Ça risque de bouger plus vite par corrosion et dilution que par subduction, au final >.<
    Pis en plu, dans les zone de subduction rapide, on a une activité sismique importante, et des mouvements de magma pas négligeables au risque d’une remontée en surface, éventuellement sous la forme de volcanisme explosif. Youpi. Ce serait vraiment pas de bol, hein, mais… On serait mal s’il fallait évaluer ce risque, AMHA. Et du coup, c’est pas super super emballant, comme idée.

Si je résume les inconvénients tel que l’a fait le Canada en 2005 avant de bannir cette solution :

  • éloignement des sites potentiels et donc grande distance à faire parcourir aux déchets,
  • galère innomable pour la surveillance et la réversibilité, même à court terme,
  • incertitude sur le devenir des déchets (en particulier cette histoire de volcanisme),
  • probable incompatibilité de l’option avec le droit international, si mise en oeuvre depuis la mer, ça on en a parlé.

(Par contre, si on le fait depuis la terre ferme, au moyen par exemple d’un tunnel sous-marin, là, c’est légal ^.^)

C’est tout pour les immersions passées, et pour la possibilité de stocker dans les zones de subduction.

Prochain article, le confinement dans les sédiments marins !

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2 réflexions sur « L’immersion en zone de subduction »

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