Le stockage en forages

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Il s’agit du stockage… En forages. Dans des puits, verticaux, creusés depuis la surface. Assez profond pour les isoler de la surface, du point de vue géologique, sociétal, environnemental, etc.
Là, logiquement, nombre d’entre vous se demandent la différence avec le stockage géologique. Voire se disent que je les embobine, en mode « la seule alternative au stockage géologique, c’est lui-même ! »

Non, ce sont quand même des choses différentes.
Il y a deux différences principales.

La première, c’est que toutes les opérations sont réalisées depuis la surface. Il n’y a pas de réseau de galeries souterraines à construire. Et donc, potentiellement, un coût bien moindre, et des risques modestes durant la phase de chantier et d’exploitation. Des tunnels, du travail souterrain… Ce n’est hélas pas anodin :/

La seconde différence concerne la profondeur. Par forage, il est possible d’atteindre des profondeurs formidables, de plusieurs kilomètres, là où les sites de stockage conventionnels visent en général 500 m.

Cela permet de reposer sur la distance à la place de (voire en plus de) reposer sur les propriétés confinantes de la roche hôte. Donc on parle d’une alternative potentiellement plus sûre pendant l’exploitation ainsi qu’à et à long terme !

Celle-ci se décline en trois procédés, selon les déchets.

Le premier est le plus simple : forer et empiler des déchets solides dans le forage, puis refermer par-dessus.

Le deuxième s’applique aux déchets liquides (on n’en a pas en France), qu’on injecterait directement dans la roche.

Enfin, le 3è est un cas particulier du premier pour les déchets fortement exothermiques, où la chaleur est mise à contribution.

Reprenons les dans l’ordre, à commencer par l’empilement en forage.

Historiquement, la méthode a été étudiée puis abandonnée au profit des galeries ou anciennes mines pour des questions de difficultés techniques (diamètre et profondeur). Aujourd’hui, le problème serait moindre, et les études sont re-devenues d’actualité. Dont une, aux USA, qui vise à réaliser un forage de 5000 m de profondeur, y empiler 400 conteneurs de déchets, et reboucher les 2000 m supérieurs.
Une règle de base du nucléaire demeure de vigueur, c’est le concept de multi-barrières. Le déchet serait dans son conteneur (1), son surconteneur (2), le forage serait remblayé (3), tubé (4), et la roche hôte constituerait une dernière (5) barrière.
À plus petite échelle, le concept est surtout intéressant dans des pays qui ont de petits quantités de déchets, par exemple les sources radioactives de petite taille parfois utilisées en recherche. Des forages de quelques décimètres de diamètre tout au plus.
L’AIEA a notamment proposé un guide pour ce concept qui intéresse de nombreux pays, dont (selon l’IRSN) le Ghana, la Malaisie, Chypre, la Moldavie ou le Brésil qui ont retenu ce concept comme solution de référence.
Pour certains déchets seulement, la solution a aussi été retenue par les EAU, et est étudiée par l’Australie, Cuba et la Jordanie. La Suède surveille le sujet, et la Belgique l’envisage toujours.
Mais les plus chauds, ce sont les États-Unis.
Un rapport de 2013 présente le forage comme une véritable alternative, plus rapide à mettre en oeuvre que le stockage géologique. D’autant plus que ce dernier a un passif houleux aux USA, avec déjà un gros projet abandonné (Yucca Mountain).
Un forage d’essai de presque 5000 m y a été initié en 2016, sur le site nucléaire de Hanford, pour des sources scellées et quelques déchets de haute activité. L’opposition publique a fait capoter le projet, et tous ceux envisagés par la suite.
Le Department of Energy a annoncé l’abandon de son projet de forages d’essais en 2017, et malgré l’avancement des études, le stockage en forage n’est depuis plus retenu par le DoE comme solution de référence.

Partons à présent sur notre deuxième concept, le stockage en forage de déchets liquides (direct ou après incorporation dans un coulis type ciment).
Là, il faut déjà des roches favorables : poreuses, perméables, mais capables, d’une manière ou d’une autre, de limiter au mieux la migration des radionucléides, verticalement et horizontalement.
Pour tout vous dire, on est sur quelque chose d’un peu plus avancé qu’un concept papier, là… Aux USA, ce sont déjà 7500 m3 de mortier de ciment dopé aux effluents radioactifs qui ont été injectés à 300 m de fond entre 1959 et 1960.
La roche était composée de schistes, traités au préalable à la fracturation hydraulique pour en augmenter la perméabilité et la porosité. Fracturation hydraulique et déchets radioactifs, le combo tout à fait vendeur aujourd’hui ^^.
En Russie, trois sites ont déjà servi à cela. Le premier dans des formation de calcaire et grès, à 1400 m de fond, et les deux autres dans des grès à moins de 400 m. On parle de… Dizaines de millions de mètres cubes d’effluents liquides de moyenne et haute activité qui ont déjà été injectés de la sorte, depuis 1962. Je m’en remets pas, depuis que j’ai découvert ça x)
La pratique a été revue par l’AIEA en 2013 qui en a tiré quelques principes de base. Toujours cette histoire de multi-barrières, évidemment : il faut prévoir des barrières ouvragées en plus de la barrière naturelle de la roche hôte.
Vous vous en doutez, ça complique singulièrement la pratique… Et la sûreté de la méthode est très loin de faire consensus. C’est probablement ce qui a conduit, au Royaume-Uni et en France, à l’exigence suivante : les déchets sont conditionnés sous forme solide exclusivement pour leur gestion à long terme.

Et c’est l’occasion pour moi d’un rappel : les déchets nucléaires ne sont pas des fûts de liquides qui ne demandent qu’à s’échapper.
En France, ce sont des solides (polymères, métaux…) compactés, ou du verre pour la haute activité, mais exclusivement des solides. On ne peut pas vraiment avoir de fuites des déchets. Ce qu’on craint, c’est que les radionucléides soient drainés par des eaux souterraines (ou des infiltrations, pour les sites de surface) qui, elles, peuvent se disperser dans l’environnement.

Après cet aparté, finissons avec notre stockage d’effluents liquides : il a bien été mis en oeuvre en France, pour des effluents non radioactifs, nitratés, d’usines d’engrais.
Et il est reconnu que la recherche sur ces méthodes a contribué au perfectionnement de la fracturation hydraulique aujourd’hui mise en oeuvre par les pétroliers et gaziers. Voilà qui devrait plaire à ceux qui aiment dénigrer le nucléaire :p.

Notre dernier procédé fait écho à quelque chose que l’on avait évoqué concernant le stockage dans les glaces polaires. Pour rappel, il était spécifique aux déchets exothermiques.
Du coup, vous l’aurez deviné, il s’agit de mettre à profit la chaleur qu’ils émettent pour fondre la roche, comme on parlait de fondre la glace, et la laisser se solidifier derrière pour sceller le stockage.

Bon, il faut des roches particulières là-encore, qui diffusent peu la chaleur et fondent à des températures assez modestes. Par exemple, autour de 900 °C pour du granite, contre 1200 °C pour des basaltes.
Si la roche fond à trop haute température, on peut se retrouver à avoir les déchets qui eux-mêmes fondent… Mais ça peut faire partie du concept, après tout ? Y’a en effet deux idées en tête :

  • Soit on se débrouille pour garder les déchets intègres et on laisse juste la roche se vitrifier autour d’eux sous l’effet de la chaleur, et là on a une super barrière de confinement.
  • Soit on laisse les déchets fondre dans la roche, se diluer dedans, et du coup se disperser dans un plus grand volume que leur volume initial jusqu’à l’équilibre entre densité de chaleur et capacité d’évacuation de la roche. Quand cet équilibre est atteint, tout se solidifie et se stabilise, dans une matrice relativement homogène et naturelle.

Une fois encore, les USA sont à la pointe et ont décliné l’idée en différents procédés. Le plus couillu : « Deep Underground Melt Process ». Quelque part entre 2 et 4 km de fond, on creuse une cavité à coup d’explosifs, éventuellement nucléaires.
Comme ça on a déjà une gangue de verre sur place, dans laquelle on peut venir ajouter nos déchets, et paf… C’est un peu flou ensuite. Bon, je ne suis pas fan ^^ »

« Deep Self Burial », on l’a déjà décrit a demi-mots : on fore 2 km, on pose les déchets au fond, et ils font fondre la roche autour d’eux pour s’enfoncer de plus en plus profond, façon « syndrome chinois ».

« Deep Rock Disposal », c’est un hybride, pour des déchets exothermiques MAIS liquides. On les injecte dans la roche, ils la font fondre et s’y incorporent.

« Solidified Waste in Situ Melting », il est un peu plus subtil : on part d’une cavité naturelle ou issue de Deep Underground Melt Process, on y mélange des déchets et des gravats. Le tout fond du fait de la chaleur, mais l’absorption de la chaleur – et de la dilatation – par les gravats permet d’éviter d’endommager la roche hôte, qu’on garde la plus intègre possible.

Plus aucun de ces concepts n’est sérieusement à l’étude aujourd’hui,si ce n’est un dérivé du Deep Self Burial, pour de petits volumes de déchets (des sources radioactives, donc, pas des déchets de l’industrie électronucléaire).

Synthétisons : le stockage des effluents liquides, ça n’a rien de très emballant car on maîtriserait très mal la dispersion. Pour les déchets exothermiques, on a quelque chose d’un peu mieux mais bourrinement irréversible et de moyennement contrôlable, au final. Probablement viable, mais dans notre société du risque zéro, les incertitudes apparaitraient probablement intolérables.

En revanche, le stockage en forage de déchets faiblement exothermiques (donc de moyenne activité ou de haute activité un peu dilués), ça m’a carrément l’air envisageable, je ne sais pas ce que vous en pensez ?

En tout cas, ces solutions là, même si pas forcément préférables au stockage géologique, j’y vois une bonne réponse aux collapsologues. Vous savez, ceux qui disent que le nucléaire est une catastrophe parce que la société va s’effondrer dans N décennies… et donc que l’on ne saura pas gérer les déchets nucléaires qui ont besoin de technologies sophistiquées et de temps longs ? Et bien on a là une réponse relativement low tech et rapide à mettre en oeuvre à offrir 😉

Et, chers amis, ici s’achève ce panorama sur les alternatives au stockage géologique. Mais l’on aura d’autres occasions de parler déchets, sans aucun doute !

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2 réflexions sur « Le stockage en forages »

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