La Pierre Jaune, Pt. I.

Nous sommes en février 2021, et vient de paraître aux éditions Goutte d’Or un roman de Geoffrey Le Guilcher, La Pierre Jaune.

Un jour de forte pluie, Jack surgit à la Pierre Jaune, lieu-dit d’un village breton. Cet homme tatoué au strabisme prononcé rend visite à son nouvel ami membre des Jauniens, une communauté d’activistes. À 200 km de là survient un spectaculaire attentat contre l’usine nucléaire de la Hague. Pluies acides, radioactivité, la Bretagne compte parmi les zones à évacuer. Par entêtement, les Jauniens décident de rester sur leur presqu’île. Au nom d’un motif inavouable, Jack les imite. Une étrange survie débute.

Je ne suis pas critique littéraire, loin s’en faut, et admets sans mal que des infrastructures existantes puissent servir de prétexte, de la manière aussi fantaisiste que vous le souhaiterez, à un scénario par exemple post-apocalyptique.

Cependant, la médiatisation de cet ouvrage interpelle.

Marketing

Le résumé précédent, je le comprends ainsi : l’histoire narrée dans La Pierre Jaune a comme élément déclencheur un accident nucléaire d’origine terroriste dans l’usine de retraitement de la Hague. On présentait cette usine sur ce blog il y quelques mois : Visite guidée de l’usine de retraitement de la Hague. L’histoire semble porter sur un groupe d’individus contraints à la survie à proximité (relative) du site nucléaire et sous les retombées radioactives de l’accident.

Toutefois, le marketing qui a été mis en œuvre pour communiquer sur la publication du roman s’axe non pas sur les péripéties des personnages, mais sur cet initiateur. Disons le clairement : l’auteur est journaliste de profession et son ouvrage est présenté, implictement ou explicitement comme une enquête sur l’éventualité d’un tel attentat.

J’ai entendu parler de ce roman par cette interview de Slate, présentant quelques extraits du roman.

La menace officielle planant au-dessus de La Hague tombait ainsi à 6,7 fois Tchernobyl. C’est cette hypothèse basse qui est retenue dans La Pierre jaune.

« Un accident grave comme 7 fois Tchernobyl », voilà ce qui semble avoir été identifié par l’équipe marketing de l’éditeur – ou par l’auteur ? – comme étant la punchline sur laquelle devait reposer la campagne de promotion.

Dans Neon Mag, une longue interview de l’auteur. Il y est question d’un classement, par l’auteur, de son roman comme d’un « roman d’anticipation réaliste ». Voilà ma tolérance ébréchée, puisque cette prétention, suffisante pour convaincre le lecteur lambda que ce réalisme sera au rendez-vous, doit reposer sur une solide connaissance et documentation.

J’irai jusqu’à dire que je comprendrais que l’accident postulé ne soit pas réaliste, pour peu que le soit la survie en milieu contaminé, sujet principal du roman. Mais non, on nous dit bien dans cette interview que « l’hypothèse est acceptée et a été calculée ». Oui, l’auteur affirme que son roman est une fiction réaliste basée sur des hypothèses réaliste. Donnant tout son sens à une campagne de marketing basée sur les conséquences éventuelles, évaluées en « fois Tchernobyl » pour que chacun y retrouve les peurs qui le touchent le plus.

Tout ce thread, par le compte Twitter de la maison d’édition elle-même, vise à légitimer l’hypothèse de départ.

Et l’on ne sera pas surpris de le retrouver relayé par…

Oui, immédiatement, ça devient suspect. Pour le grand public, c’est un gage de sérieux ; pour les initiés, c’est un motif de méfiance maximale et de doute immédiat.

Cet éditeur est, je l’ai appris entre temps dans ce reportage de La Revue des Médias de l’INA, adepte des communications choc. Notons que, tel que je comprends l’article, la maison d’édition se compose de deux personnes ; Clara Tellier Savary et Geoffry Le Guilcher, l’auteur du roman qui nous intéresse ici. Ainsi, alors que jusqu’à présent nous discutions d’une part des choix de l’éditeur, d’autre part des communications de l’auteur, il faut noter qu’en réalité, l’un et l’autre ne sont qu’un.

Mais ce qui m’a le plus marqué dans ce reportage de la Revue des Médias, c’est cette idée-ci :

« On s’est entraînés à résumer le livre en une phrase, en deux phrases, en trois phrases, en cinq phrases »

« Ils mettent autant de soin à préparer un post sur les réseaux sociaux qu’à éditer leurs bouquins »

Vous le voyez, le « 7 fois Tchernobyl » qui a été désigné comme l’accroche taillée sur mesure pour les réseaux sociaux, pour en une phrase, hameçonner un maximum de monde ?

Il ne restait plus qu’à maquiller ceci en journalisme d’investigation, et c’est le média de divertissement Konbini qui s’en est chargé.

Sur Twitter et sur Facebook notamment – je ne côtoie pas d’autres RS pour comparer – cette vidéo a été largement diffusée. En cinq minutes, dont, somme toute, moins d’une consacrée au livre, le journaliste-auteur-éditeur expose différents risques, éludant évidemment leur prise en compte pour aller directement aux conséquences éventuelles « selon des experts », pour en expliquer les conséquences apocalyptiques.

Cinq minutes durant lesquelles quasiment rien de correct ou convenablement contextualisé n’est dit.

Un prochain billet sur ce blog sera l’opportunité de regarder de près le script de la vidéo, et ça commence ici.

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