Le suivi de charge éolien

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Tout est parti de l’infographie de BFMTV que vous pouvez voir ci-dessus. Et si, moi aussi, je m’amusais à faire de jolis graphes colorés sur les EnR ?

Sans qu’il soit question de l’habituel cliché Éolien VS Nucléaire. Enfin… Pas tout de suite.

La question ici sera de savoir ce que représentent les ENR* par rapport a la consommation électrique, et le potentiel de celles-ci pour satisfaire cette dernière, notamment au travers du développement de l’éolien. …Exclusivement par ce biais, en fait, pour cette fois.
Du coup, une fois n’est pas coutume, on télécharge abusément tout ce qu’on peut trouver sur eco2mix, et on joue un peu.

*: Je crois qu’historiquement, on écrivait ENR, pour « Énergies Nouvelles Renouvelables », et non pas EnR pour « Énergies Renouvelables ». Je vais essayer de garder cette philosophie pour, tout simplement, ne pas mettre l’hydroélectricité dans le même sac que l’éolien et le solaire. Au moins pour cet article. Et, si j’y pense, les suivants – je le préciserai le cas échéant.

Pour ce qui est de la biomasse et diverses bioénergies, je ne sais pas trop où les placer. Arbitrairement, on va dire qu’elles sont dans les énergies nouvelles, ENR donc, mais s’il y a ambiguïté à un moment où c’est important, je le mentionnerai explicitement.

De toute façon, ici, on ne va guère parler que d’éolien : pas de doute à avoir, donc.

Bon, j’allais pas le faire sur toute l’année, ça aurait donné des graphes illisibles. Enfin, encore plus illisibles que ce que je vais vous présenter.

Du coup, je me suis borné a un mois. Lequel ? Je voulais éviter les cas un peu trop extrêmes : pas l’été (éolien désastreux) ni l’hiver (consommation explosive). Mi-saison, donc.

J’ai arrêté mon choix, un peu arbitrairement, sur octobre (2017).
Pourquoi ? Parce que c’est ce mois que les médias se sont particulièrement émus d’un grand nombre de réacteurs nucléaires a l’arrêt.
On s’est passés d’une bonne part de notre parc nucléaire ce mois là ; c’est donc un bon point d’entrée pour imaginer s’en passer de la totalité, non ?
Ainsi, en octobre 2017, j’ai sommé les productions ENR, demi-heure par demi-heure.
Éolien+solaire+bioénergies+hydroélectricité d’une part, consommation d’autre part.

Bilan :

Bon. C’est pas folichon. On comprend que pour le moment, on a besoin du nucléaire et des fossiles. Voire même des imports.

Parce que oui, au final, ces courbes, c’est le mix électrique retranché des fossiles, du nucléaire, du stockage et des échanges.

Partant de cette courbe, j’ai appliqué des facteurs multiplicatifs à la production éolienne : de manière uniforme, chaque demi-heure, je multiplie la production éolienne par n.

Je fais comme si c’était ce qui se produirait si on multipliait bêtement la puissance installée par n.
Du coup, je multiplie comme un bourrin le parc éolien par n=5. Je le fais passer de 12800 MW à 64 000 MW. À une vache près, c’est la puissance installée de notre parc nucléaire (62 130 MW aux dernières nouvelles).

Avec ce colossal parc éolien, on voit qu’on arrive à couvrir la demande certains week-end (parce qu’il faut que la demande soit basse) bien venteux (parce qu’il faut que la production soit au top).

On change d’approche :

Par combien dois-je multiplier mon parc éolien pour satisfaire la demande au moins 10% du temps ?

Il faut comprendre « une demi heure sur 10 », pendant tout le mois. Pas forcément des demi-heures consécutives. Ça peut aussi bien être 3 jours non-stop et plus rien le reste du mois… Que une demi-heure toutes les 9h, et ce régulièrement pendant tout le mois.

Satisfaire la demande 10% du temps.
Puis 20%. 50%. 90% !

Le résultat est ci-dessous.
En violet clair, sur l’axe de droite, vous avez la puissance éolienne installée, obtenue en multipliant mes 12800 MW initiaux par le facteur n que j’ai trouvé.
Et en rouge et vert, sur l’axe de gauche, la quantité d’énergie excédentaire que j’aurai cumulé en satisfaisant un peu trop la demande, et les déficits que j’aurais eu en ne la satisfaisant pas (en gros, les quantités d’énergie a exporter/stocker/perdre, et a importer/déstocker).

Par exemple, pour couvrir 10% de la demande, je vois qu’il m’aurait fallu – modestement – avoir 100 GW d’éoliennes ! 

Et importer un joli paquet de 16 TWh en un mois. L’équivalent de… La production mensuelle d’une trentaine de réacteurs nucléaires 😮

À quoi ressemble-t-il, notre mix électrique, dans ces conditions ? À ça.

Une consommation autour de 50 GW, et jusqu’à… 50 GW de déficit, 60 GW d’excédent. La galère : ni exportable, ni stockable, ingérable. Et j’ai visé seulement 10% de la demande !

Et si on ambitionne, disons… Les deux tiers de la demande ?
On va dire 70%, parce que j’ai fait mes calculs par palier de 10% 😁

Bah yaka trouver 350 GW d’éolien et fokon trouve quoi faire de nos 30 TWh de trop. 
Et comment gérer les pics de 150 GW 😱

Pour la surproduction, on pourrait avoir envie de juste mettre les éoliennes a l’arrêt quand on n’en a pas besoin…
Certes, mais vous allez dire quoi a l’investisseur qui vous a planté 350 GW de turbines, qui pourraient produire a pleine puissance, et que vous faites stopper ?

Satisfaire la demande actuelle en électricité avec si peu d’énergies pilotables, compter sur l’éolien pour faire tourner la France… Ça ne va clairement pas être évident.

Bien sûr, mon approche a plein de limites. D’abord, j’oublie le développement du solaire et des bioénergies. Mais le premier est encore plus intermittent donc aggrave l’ampleur des surproductions sans arranger les déficits 🤕
Quant aux bioénergies, leur potentiel de développement aujourd’hui, je n’irai affirmer qu’il est bien grand. Même si on atteignait 10 GW (contre un peu plus d’1 GW aujourd’hui), ça ne chamboulerait pas mon raisonnement.

Autre limite, j’ai pas pris un mois forcément très représentatif… Et surtout pas très exigeant. J’ai pris un mois « moyen ».
Or, le réseau électrique, on le dimensionne d’après les cas extrêmes, pas les cas moyens, sinon, ce n’est pas du dimensionnement.

Et, probablement la plus grosse limite de cette approche : je raisonne à consommation inchangée. Aussi bien dans son ampleur que dans son profil. Or, ceux qui prétendent nous sortir du nucléaire et des fossiles grâce au vent et au soleil veulent aussi changer la conso.

Mais c’est là que je voulais en venir.
Avec ces quelques images, j’essaye de vous faire visualiser l’ampleur de l’intermittence éolienne, son déphasage avec la consommation et les variations de cette dernière.

Au vu de ces graphes, même en imaginant un potentiel illimité de développement de l’éolien et du solaire…
Qui oserait affirmer qu’on peut « modeler » la courbe de consommation au point de la rendre compatible avec ces courbes de production ?

Y’a des moments où le vent, y veut pas. Parfois plusieurs jours de suite. Même avec 100, 300 GW, y’aura des moments de production quasiment nulle.

Qu’est ce qu’on fait, comme changement de la consommation, pour ces moments là ?

J’espère que ces quelques tracés vous permettront d’imprimer plus clairement la notion d’intermittence dont le vilain lobby nucléaire vous rabâche les oreilles 😉
Merci d’avoir tenu jusque là !

Publié dans ENR

9 réflexions sur « Le suivi de charge éolien »

  1. Bonjour,
    Les EnR ne peuvent avoir du sens qu’avec du stockage. Il serait intéressant d’évaluer aussi le dimensionnement des STEP nécessaires pour compenser pour chacun des scénarios.
    D’autre part, si on étend l’étude sur une zone géographique plus grande (échelle européenne), n’aurait-on pas un lissage du ratio conso/prod grâce à la disparité des gisements éoliens (ex: du vent en mer du compensant un déficit en Méditerranée….)?

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    1. Bonjour,
      Je ne peux évidemment pas vous donner tort sur les besoins de stockage, mais si l’on se limite aux STEP, la capacité n’excède pas plus de quelques heures à 5 GW, la puissance maximale qu’elles peuvent délivrer. Et dans les cas que je présente, c’est souvent bien plus que quelques GW qu’il nous faudrait, pendant bien plus que quelques heures. Donc les STEP ne joueraient que de manière très marginale sur les résultats présentés.

      La question du foisonnement, ou lissage de la production, à l’échelle de plusieurs pays, c’est le sujet du prochain billet. Qui sera une reprise de ce thread : https://twitter.com/TristanKamin/status/1036648776495243265
      Quant au lissage de la consommation… Très bonne remarque, je pense qu’il y aura un effet bien réel et je m’y pencherai peut-être un de ces jours. Mais même dans le cas extrême ou le lissage conduirait à une consommation rigoureusement constante d’un jour à l’autre, l’éolien, lui, restera fluctuant.

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  2. Merci Tristant pour cette démonstration limpide, et bravo pour ce blog très intéressant pour qui s’intéresse au nucléaire, ils sont rares en français 🙂

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  3. Bonjour

    Le terme:« suivi de charge éoliennes » me surprend.On parle en général de suivi de charge réseau avec plus ou moins de participation .Ne devrait on pas parler de : »suivi de production » ?

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