Canicule ou gel, la production nucléaire varie.

Ce billet est repris du #thread Twitter suivant, que vous pouvez également retrouver sur ThreadReaderApp.

Cet été, j’en eût marre de lire que le nucléaire serait prétendument mis à mal par la canicule :

  • Canicule: plusieurs réacteurs nucléaires arrêtés en France pour éviter de surchauffer les rivières, dans le Huffington Post
  • Canicule : pourquoi EDF doit diminuer la production des centrales nucléaires, dans Le Monde
  • À cause de la canicule, la centrale du Bugey réduit sa puissance, dans Lyon Capitale
  • Canicule et sécheresse : les centrales nucléaires sont-elles en danger ?, dans Le Parisien
  • Le système électrique français face à la canicule : jusqu’ici tout va bien, dans La Tribune

Bon, si les titres, bien que parfois un peu alarmistes, et les contenus, restent modérés, les réseaux sociaux ont abondé en simplifications parfois grotesques.

Alors me suis-je attelé à remettre un peu de contexte. À rappeler ce qui n’est pas une évidence :

La production nucléaire, elle varie.

Tout le temps.

La production, elle varie, donc. Pour, en simplifiant, cinq raisons ; avec des variations plus ou moins fortes et fréquentes.

  1. Très faiblement, très fréquemment, pour assurer le maintien du réseau électrique à sa fréquence de 50 Hz, d’une part.
  2. D’autre part, une ou deux fois par jour, elle varie avec une amplitude un peu + significative pour s’adapter aux variations de conso (pic le matin et le soir l’hiver ; l’après-midi l’été) et de production (pic solaire à midi, fluctuations du vent).
  3. Avec une amplitude plus grande encore, elle suit les baisses de consommation chaque weekend, et les remontées chaque lundi. Car on consomme beaucoup moins le weekend, notamment en raison d’une moindre activité des entreprises.
  4. Avec une amplitude CONSIDÉRABLE, elle varie aussi au fil des saisons, car on veut avoir une production maximale l’hiver pour satisfaire la consommation très élevée, une production moindre mais pas trop faible l’été à cause des climatiseurs, et donc on minimise a la mi-saison.
    C’est d’ailleurs pour ça que tous les ans, sortent vers octobre des articles sur la mauvaise disponibilité du parc nucléaire : c’est le dernier moment pour faire la maintenance avant l’hiver où on veut avoir à en faire le moins possible.
  5. Enfin, on a la variabilité subie : les arrêts de tranche pour maintenance, ou suite à des défaillances ou des contraintes. Ce dernier cas étant illustré par exemple par les arrêts de tranche actuels pour cause de canicule.

Pour ceux qui ne liraient que les titres des articles, le problème de la canicule n’est pas qu’elle empêche les centrales de fonctionner, hein.

Mais vous n’êtes pas sans savoir que les centrales qui n’ont pas de tour de refroidissement par l’air, ni de mer/océan sous le coude se refroidissent à l’eau des rivières et fleuves. En faisant gagner quelques degrés au cours d’eau en aval.

Ça ne concerne pas beaucoup de centrales. De tête, 3 centrales et demi sur 19 (la moitié de Bugey, Tricastin, Fessenheim, Saint-Alban). Les autres se refroidissent majoritairement via leurs tours aéroréfrigérantes ou à l’eau de mer.

Ce réchauffement de l’eau, il est légalement limité pour minimiser l’impact sur la #biodiversité locale.
Mais quand l’eau, en amont, dépasse 25°C à cause de la canicule… Ces limitations, elles deviennent bloquantes. Donc soit on demande des dérogations exceptionnelles…
Soit on baisse – éventuellement jusqu’à l’arrêt complet – la puissance de la tranche.
C’est ce qui s’est passé pour quelques centrales à l’été 2018.

MAIS on peut relativiser les grands discours qui fleurirent alors.

Une tranche qu’on est obligé d’arrêter, ça n’a rien de grave ni d’exceptionnel.
Une variation de quelques GW de nucléaire, sur un parc de 60 GW, c’est tout à fait ordinaire.
En été, on ne manque pas de puissance, donc ça ne représente aucune menace pour l’approvisionnement.

Et, évidemment, on n’arrête pas les réacteurs en mode panique, bouton rouge, on va surchauffer.

On arrête le réacteur comme on le fait normalement pour une opération de maintenance par exemple. Normal, régulé, tout ça. Ça ne met pas la sûreté en jeu.

Petit cas pratique à présent. Illustratif.

Ci-dessous, la courbe de la production nucléaire française, quart d’heure par quart d’heure, sur sept jours de cette période de canicule. Via le site eco2mix de RTE (c’est gratuit et c’est cool, allez voir le site ou l’appli !)

Qu’observe-t-on ?
Outre les petites variations infra-journalières dont je vous ai parlé, deux grosses baisses réparties sur quelques heures a chaque fois.

La première, dimanche. L’effet « week-end » dont je parlais, cumulé dans le cas présent à un gros pic de production éolienne (qui était calme vers 1000 MW et qui a fait une courte pointe à 4000 samedi et 5500 dimanche).
La baisse est d’environ 4000 MW en prenant le ↕ plus large.

La seconde, mercredi, répartie sur toute la journée. C’est vraisemblablement la conséquence des baisses de puissance et arrêts suite à la canicule.
Eeeeet… Même amplitude que samedi.
Voilà.
Ça recadre bien, je trouve, la « gravité » de l’événement : aussi grave qu’un weekend.

Maintenant, instant propagande sur le sujet des EnR, parce que des antinucléaires font de la récup’ comme quoi « le nucléaire il est intermittent et pas adapté aux conditions estivales »…

  1. Ce qui dimensionne le parc électrique, ce ne sont pas les situations estivales exceptionnelles mais les situations hivernales exceptionnelles, bieeeen plus rigoureuses pour le reseau électrique.
  2. La production nucléaire à cédé à la canicule 4000 MW sur une production d’environ dix fois plus. Variation de 10%, donc.
    1. Au même moment, le parc solaire variait chaque jour, canicule ou pas, entre 0 et 100% de sa production. Le jour même du tweet ci-dessus, 5700 MW d’amplitude en valeur absolue. Davantage que le nucléaire malgré un parc 10x plus petit.
    2. L’éolien… Mon dieu, l’éolien… Quand on est partisan de l’éolien, en principe, on devrait se taire depuis juin au moins : l’essentiel du parc est resté à l’arrêt…

Zoom sur une semaine, au pas quart-horaire :

Une variation de presque 100% d’un jour à l’autre, des pics de 4 à 5 GW d’amplitude en quelques heures, des maxima qui atteignent péniblement le tiers de la puissance nominale… Tel fut le rythme pendant quasiment deux mois.

Bref. Concluons.

  • L’arrêt de tranches nucléaires pour raison technique est banal
  • Que ce soit pour raisons de canicule est anecdotique
  • L’amplitude de la variation est habituelle
  • Le nucléaire n’est pas moins bien adapté au dérèglement climatique qu’une autre techno.logie

Et une suggestion de lecture pour qui désirerait creuser un peu la notion de facteur de charge.

7 réflexions sur « Canicule ou gel, la production nucléaire varie. »

    1. À peu près de la même façon… Mais à deux nuances près, tout de même.
      La première vient du fait que les tranches gaz/charbon ont une puissance unitaire plus faible que les tranches nucléaires. Max 600 MW à ma connaissance pour le gaz ou charbon, contre 900 MW minimum pour le nucléaire français, 1100 MW en moyenne, 1600 MW pour l’EPR. Alors évidemment on peut mettre plein de tranches dans une même centrale à gaz ou charbon et arriver à une puissance cumulée équivalente à celle d’une grosse centrale nucléaire. Mais on peut aussi multiplier les centrales d’une ou deux tranches, diluer donc les sources de chaleur, et donc faciliter un peu la gestion de cette chaleur. Un peu.
      La seconde nuance provient du rendement. Là où nos tranches nucléaires tapent du 33-34% de rendement moyen (36-37% pour l’EPR), le centrales à charbon les plus modernes doivent être entre 40 et 45%. Les centrales à gaz peuvent atteindre 60%. Et un meilleur rendement, ça veut dire moins de chaleur à évacuer pour une même production électrique. Par exemple, pour sortir 1500 MW de puissance électrique, il faut un réacteur nucléaire de 4500 MW, et donc 3000 MW de la puissance se perd sous forme de chaleur. Ou alors on prend cinq tranches au gaz de 500 MW chacune, soit 2500 MW au total -> 1500 sous forme électrique, 1000 sous forme de chaleur.

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