Des histoires de tritium

L’actualité en France pendant l’été 2019 a été marquée par plusieurs alertes sanitaires relatives à des contaminations au tritium de l’eau douce et de l’eau potable en France, dans la Loire et en Île-de-France.

Sommaire

  • Qu’est-ce que c’est dis-donc que le tritium ?
  • Quels enjeux sanitaires ?
    • Seuils de potabilité et d’alerte
    • Facteurs de dose
  • La polémique
    • Les prémisses : détection d’un pic de tritium en janvier 2019
    • Traitement médiatique chargé
    • Contre-exemple : une article en retard mais soigneusement mauvais
  • Juillet 2019 : l’emballement
  • Octobre : les investigations de l’IRSN

Qu’est-ce que c’est dis-donc que le tritium ?

Le tritium est un isotope radioactif de l’hydrogène que l’on retrouve en général incorporé à une molécule d’eau en lieu et place de l’un des atomes d’hydrogène. Il est produit naturellement dans l’atmosphère, mais en teneurs modestes devant la production de ce dernier par les activités humaines, essais nucléaires et centrales nucléaires.

Il est notamment produit dans les réacteurs nucléaires en tant que produit de fission, ou au sein du circuit primaire par activation neutronique de l’hydrogène, du lithium et du bore.

Très complexe à isoler mais très faiblement radiotoxique (ses radiations sont uniquement des rayonnements beta de faible énergie, 30 fois plus faibles que ceux du Césium 137 par exemple), il est en grande partie piégé dans le combustible et évacué dans l’environnement lors du traitement du combustible usé ; le reste est rejeté dans l’environnement directement par les centrales, en privilégiant dans tous les cas les rejets liquides où la dilution assure un impact notablement plus faible qu’en rejet atmosphérique. Notamment parce que sous forme d’eau liquide, il est vite métabolisé et évacué, et ne séjourne que peu dans l’organisme.

Quels enjeux sanitaires ?

Seuils de potabilité et d’alerte

Les recommandations internationales et retenues en France conduisent à considérer l’eau comme potable jusqu’à 10 000 Bq de tritium par litre d’eau. En revanche, en France est retenu un seuil d’alerte à 100 Bq/L, non pas en raison d’un risque significatif à ce niveau mais en raison de l’anomalie qu’il traduit. En effet, en aval des installations nucléaires, il est attendu de retrouver des concentrations de quelques dizaines de Becquerels par litre, liées aux rejets normaux évoqués plus tôt.

Retrouver une concentration supérieure à 100 Bq/L est donc signe d’une anomalie, qui justifie une investigation afin de s’assurer qu’il n’y ait pas eu d’événement anormal, et notamment de rejets radioactifs multiples dont le tritium serait l’avant-garde, en raison de sa forte mobilité.

Facteurs de dose

Faisons un petit détour technique pour évoquer la notion de facteur de dose. C’est l’occasion pour moi de vous présenter l’arrêté du 1er septembre 2003. Un document de référence en sûreté/radioprotection, qui inscrit dans la loi les facteurs de dose calculés par la Commission International de Protection Radiologique.

Les facteurs de dose, ce sont des coefficients qui permettent de passer, en cas de contamination interne, des activités (en Bq) aux doses (en Sv). Autrement dit, pour une quantité de radioactivité égale, ils donnent la radiotoxicité, le risque.

Pour l’eau tritiée, dans le pire cas (c’est à dire chez l’enfant d’un an) et par ingestion, le facteur de dose s’élève à 64 pSv/Bq. Oui, picosievert. En comparaison, le potassium 40 naturellement présent dans l’organisme ou différents corps vivant, affiche une « dose par unité d’incorporation » de 62 nSv/Bq, car sa désintégration beta est très énergétique. Un Becquerel d’eau tritiée est donc environ mille fois moins nocif qu’un Becquerel de potassium 40.

Ce dernier, on le retrouve par exemple dans les bananes, à hauteur d’en moyenne 20 Bq par banane. Donc le potentiel radiotoxique d’une banane est égal à celui de 20 000 Bq d’eau tritiée. Étant admis qu’une consommation normale de bananes n’a jamais constitué un risque significatif d’irradiation interne, vous comprendrez que des activités en tritium de l’ordre de 100 Bq par litre d’eau bue sont très loin d’être un problème sanitaire.

La polémique

Les prémisses : détection d’un pic de tritium en janvier 2019

L’ACRO, Association pour le Contrôle de la Radioactivité dans l’Ouest, qui réalise des campagnes de mesures « indépendantes » de radioactivité dans l’environnement, a révélé en Juin une détection anormalement élevée de tritium en Janvier.

Étant habitués à relever dans la Loire, à Saumur, des activités jusqu’à 60 Bq/L, cohérentes en aval de plusieurs centrales nucléaire sur la Loire et la Vienne, ils ont indiqué avoir mesuré en Janvier une activité de 310 Bq/L. L’information a été prise au sérieux par l’ASN, l’IRSN et par EDF qui ont cherché jusqu’à l’automne une origine et une explication – on y reviendra à la fin de cet article.

S’agissant d’une seule mesure sur une campagne de 18 mois, et la valeur dans l’eau du fleuve étant très inférieure aux valeurs guides pour l’eau de consommation, il n’y avait pas lieu de parler de conséquences sanitaires. Les investigations qui devaient être lancées l’ont été, et la population n’a pas pour autant été mise en danger.

Traitement médiatique chargé

Cependant, une affaire de « contamination radioactive » révélée en période d’actualité peu fournie était une occasion inespérée pour la presse qui a abondamment relayé l’événement, avec plus ou moins de précision.

Pas de catastrophe et de titre excessivement anxiogène comme on aurait pu le craindre, mais deux ou trois remarques à faire tout de même.

Concernant les choix d’illustration, pas d’image excessivement anxiogène, caricaturale, ou autre. On a bien deux petits hors sujets, avec Europe 1 qui illustre avec la centrale de Cruas (sur le Rhône) et RTL avec une photo de Nantes (alors que Saumur est à 100 km de là), mais on a échappé aux photographies de tours aéroréfrigérantes de centrales à charbon.

Concernant les titres, à présent : j’aurais bien voulu les classer en fonction de leur caractère plus ou moins anxiogène, mais… Ils contiennent tous le mot « contamination », à juste titre, qui est, je pense, déjà anxiogène à lui seul.

D’ailleurs, un mot pour les journalistes qui me lisent : n’ayez pas peur du mot « contamination ». Il est souvent mis entre guillemets dans les titres, comme pour dire « c’est pas nous qui l’avons dit ! » Mais il ne faut pas avoir peur de ce mot. Un marquage d’un radioélément artificiel dans l’environnement, c’est bien une contamination, par définition. Pas de scrupules à avoir pour l’emploi du mot.

Du coup j’ai plutôt regardé les titres en fonction de leur exactitude. Ceux qui ne malmènent pas l’info, et qui ne l’amputent pas. Parce que, pour moi, l’info n’est pas que l’eau soit contaminée au tritium, ça, c’est un état normal, constant. C’est qu’il y ait eu un pic de contamination, en Janvier, une mesure qui excède d’un ordre de grandeur toutes les autres réalisées, et dépasse le loin les mesures réalisées par l’exploitant. C’est cette anomalie qui intrigue et qui constitue l’information.

Et la plupart des titres reprennent assez bien cette information-là. Avec plus ou moins de guillemets, mais sans rater le fait que la particularité, c’est le caractère « anormalement élevé », comme dit l’ACRO, d’une des mesures.

Certains articles, toutefois, passent à côté. Ils présentent la contamination comme étant une actualité (dans le titre, hein, le contenu est évidemment plus développé). Les gens n’ont probablement pas tous conscience que la radioactivité nous entoure ?

Et puis il y a les titres qui vont trop vite, ou en font un peu trop.

Et France Soir compte en « fois la normale », en confondant en plus la normale avec le seuil à 100 Bq/L.

Toutefois, dans l’ensemble, l’information est bien traitée. Mais.

22 articles. Pas moins de 22 articles et probablement quelques journaux télévisés, pour un pic de mesure ponctuel, local, sans enjeu sanitaire : n’est-ce ultra excessif ?

Avec une contamination maximale mesurée qui est d’environ 30 fois inférieure à la recommandation sanitaire OMS (qui elle-même prend de la marge avec les risques prouvés, notamment en supposant une consommation exclusive de cette eau), ponctuelle… C’est d’un petit événement interne à l’industrie dont il s’agit, qui ne mérite rationnellement qu’un traitement type « fait divers local ». Sans implication autre qu’une enquête interne à réaliser pour la centrale de Chinon. Il est frappant de voir l’ampleur médiatique que ça a pris malgré tout… Et ça a contribué à ce qui a suivi en Juillet.

La gravité perçue par le public des événements nucléaires est basée sur leur médiatisation en premier lieu ; la prise en compte des conséquences arrive bien après dans l’ordre d’importance.

Contre-exemple : une article en retard mais soigneusement mauvais

À une semaine d’écart, France 3 a sorti un article pour revenir sur « l’affaire » précédente, mais avec un article d’une qualité notablement inférieure à la quasi-totalité des précédents.

Nucléaire : du tritium dans les eaux de la Vienne, un danger ?

Commentaire de texte en image :

Juillet 2019 : l’emballement

En Juillet, la même ACRO a publié un communiqué, repris par le Canard Enchaîné et l’AFP, révélant la présence de tritium dans l’eau potable en région parisienne. Et là, les réseaux sociaux se sont enflammés.

Des images fake ont notamment été massivement diffusées, dans lesquelles était indiqué que la Préfecture d’Île-de-France avait pris un arrêté pour interdire la consommation d’eau du robinet.

Des messages audios circulaient sur Whatsapp et Messenger d’une prétendue infirmière indiquant que dans son hôpital, on avait détecté du « titanium » (sic) dans l’eau du robinet et qu’elle n’était plus consommée.

De manière général, une forte incitation était donnée à ne pas boire l’eau du robinet, alors même qu’une vague caniculaire s’abattait sur la France, avec des risques sanitaires très importants, et où le message à faire circuler était au contraire : BUVEZ, hydratez-vous. La désinformation galopante sur cette histoire de tritium était susceptible de faire des victimes.

Qu’en était-il réellement ? Et bien l’ACRO, pour l’eau potable, n’avait pas réalisé de mesure comme c’était le cas pour le pic de janvier, mais avait compilé et cartographié les teneurs en tritium dans l’eau potable mesurées les services du Ministère de la Santé. Il s’agissait donc de données connues des autorités, suivies par celles-ci, et publiques, et dont aucune n’atteignait 100 Bq/L ! L’alerte, pour ne dire la panique, a été massive bien que totalement injustifiée.

Les démentis par la Préfecture et les hôpitaux ont été assez rapides (j’ai en revanche noté la discrétion de l’IRSN et l’ASN, sur les réseaux sociaux et dans la presse), mais la peur et les scandales se répandent bien plus vite que l’information vérifiée et rassurante :

La carte mise en ligne par l’ACRO permet d’ailleurs de constater des communes où l’eau potable est dite « contaminée au tritium » pour des activités inférieures à 1 Bq/L (Paris X, XI, XVIII, XIX et XX par exemple), preuve s’il était besoin que la question sanitaire était exclue de leur démarche visant simplement à alarmer.

Ce récit touche à sa fin, mais je vous laisse profiter d’un article de Checknews qui relate plus en détail les événements de juillet.

Octobre : les investigations de l’IRSN

Si les annonces les plus médiatiques furent celles de juillet, elles ne présentaient aucun intérêt du point de vue de la sûreté nucléaire. En revanche, l’alerte de juin sur la contamination de janvier était à même de conduire à des investigations supplémentaires pour expliquer cette contamination atteignant 310 Bq/L.

L’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire a publiés ses résultats en octobre, exposant les hypothèses qu’ils avaient considérées, si elles avaient été retenues ou écartées, et pour quelles raisons.

La première hypothèse envisagée était l’incident nucléaire, un rejet d’effluents radioactifs anormal par EDF. Hypothèse écartée par l’IRSN faute d’événement dans les installations d’EDF justifiant un rejet.

La deuxième hypothèse considérée est un rejet de tritium d’origine industrielle mais n’étant pas issue d’une centrale nucléaire. Mais aucune source potentielle de tritium n’a été identifiée par l’IRSN dans le bassin versant des centrales EDF.

La troisième hypothèse, jugée la plus vraisemblable par l’IRSN, est relative à la méthodologie de prélèvement de l’eau pour en assurer la surveillance et le contrôle. En aval de chaque centrale nucléaire, une « zone de bon mélange » est retenue comme le point à partir duquel l’eau tritiée s’est suffisamment mélangée à l’eau du fleuve pour qu’une mesure soit représentative de la contamination réelle du fleuve, et non pas d’une éventuelle veine particulièrement concentrée. La mesure de l’ACRO aurait pu avoir été réalisée dans des conditions hydrologiques particulières conduisant à déplacer la zone de bon mélange plus loin en aval, conduisant à une mesure non représentative par l’ACRO.

Néanmoins, afin de consolider cette hypothèse, l’IRSN prévoit de réaliser une nouvelle campagne de mesure dans des conditions aussi proches que possible des mesures ACRO.

La note d’information de l’IRSN.

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