Déchets #2 Pourquoi la France n’essaie-t-elle pas l’autre technique, l’enfouissement en subsurface ?

On les appelle entreposage, stockage, et « séparation-transmutation ». Dans le vocabulaire courant, la différence entre les deux premiers termes n’est pas évidente, alors on va éclaircir cela.

D’après l’article L542-1-1 du Code de l’Environnement, « l’entreposage […] est l’opération consistant à placer ces substances à titre temporaire dans une installation spécialement aménagée en surface ou en faible profondeur à cet effet avec intention de les retirer ultérieurement. »
Notez le « à titre temporaire » qui a toute son importance, car le même article donne aussi la définition du stockage : c’est « l’opération constant à placer ces substances dans une installation spécialement aménagée pour les conserver de façon potentiellement définitive […] sans intention de les retirer ultérieurement ». Connaître et comprendre ces définitions est capital pour débattre de ce sujet.

Je pense qu’il est intéressant aussi de parler de l’article L542-1 qui mentionne que « La recherche et la mise en oeuvre des moyens nécessaires à la mise en sécurité définitive des déchets radioactifs sont entreprises afin de prévenir ou de limiter les charges qui seront supportées par les générations futures ».

Ce passage est intéressant car il explique pourquoi l’entreposage n’a pas été retenu comme solution aux exigences de la loi de 91 : étant par définition temporaire, l’entreposage consiste à léguer aux mêmes générations futures l’essentiel des charges et risques. L’entreposage n’a d’autre but que l’attente, l’attente de la mise en oeuvre de l’une ou l’autre des deux autres solutions évoquées : le stockage et la séparation-transmutation.
Ce dernier consiste théoriquement à séparer les radionucléides aux demi-vies les plus longues des autres éléments contenus dans les déchets et, par irradiation de ceux-ci, les transformer en éléments à vie plus courte.

Compte tenu des difficultés théoriques, et à fortiori pratiques, dès 2005, il a été admis que la séparation-transmutation n’était pas une alternative au stockage géologique, au mieux un complément, une optimisation.

Et ce, notamment en raison de la difficulté à la mettre en oeuvre sur les déchets déjà produits, et, surtout, en raison de l’impossibilité d’envisager une fin du nucléaire si l’on repose sur cette méthode : il faudrait en permanence avoir des réacteurs pour irradier les déchets produits par des réacteurs. En terme d’irréversibilité totale, c’est le summum – ou, plus pragmatiquement, on en viendrait au final toujours au stockage géologique.

Et même dans une optique d’optimisation du stockage géologique, la séparation-transmutation s’est montrée moyennement convaincante. La transmutation du curium est trop dangereuse par rapport aux gains espérés, seul l’americium serait jouable.
L’IRSN s’est néanmoins prononcé sur ce point également en 2012, dans un avis sur une étude du CEA.

Sur le plan de la sûreté du stockage géologique, les gains escomptés seraient limités. En effet, la transmutation des actinides mineurs ne modifierait pas l’impact radiologique calculé du stockage ; elle permettrait toutefois de diminuer la charge thermique des déchets HAVL, ce qui constitue un élément favorable en termes de réduction de l’emprise souterraine et du volume excavé.

Au final, l’IRSN a considéré que les gains espérés de la transmutation des actinides mineurs, en termes de sûreté, de radioprotection et de gestion des déchets, n’apparaissaient pas décisifs au vu notamment des contraintes induites sur les installations du cycle du combustible, incluant les réacteurs et les transports.

Reste donc le stockage géologique comme seul moyen de gestion à long terme des déchets nucléaires qui respecte l’engagement de limiter au possible la charge pour les générations futures. Article L541-2, alinéa II-3°.

Maintenant, penchons nous, Emilie Cariou, sur ce que vous nous exposez dans Le Point.

L’essentiel de l’interview est intéressant… C’est lorsque vous déplorez qu’il faudrait que « de véritables recherches soient menées sur le stockage en subsurface, qui a l’avantage d’être réversible, et sur la séparation-transmutation », que ça devient honteux. Madame Cariou, le stockage ne peut se faire qu’en profondeur (pour raisons de sûreté à long terme) et sans réversibilité, du moins à long terme, puisqu’ayant vocation à être définitif (Cf. définition dans le code de l’environnement).

Ça, c’est un fait scientifique sur lequel vous n’êtes pas légitime pour revenir. En surface ou faible profondeur, il est impossible de réaliser quelque chose de fiable à long terme, il s’agirait donc d’entreposage.

Donc « stockage en subsurface », c’est impossible PAR DÉFINITION. Ce que vous proposez de réaliser en sub-surface, probablement parce que les lobbies antinucléaires militent activement pour en ce moment, c’est de l’entreposage. Temporaire.

Vous déplorez donc que « d’autres techniques n’ont pas été étudiées » en donnant pour exemple quelque chose d’étudié depuis 1991 et dont il est dit dans le Code de l’Environnement qu’il ne s’agit pas d’une alternative au stockage géologique. Votre proposition est en contradiction avec l’objectif de réduire la charge sur les générations futures, parce qu’elle consiste à faire du temporaire à durée indéterminée. Elle consiste tout simplement à ne rien faire et laisser nos descendants décider et agir.

Je ne pense pas que ce soit par malveillance, mais par ignorance. C’est regrettable, car à peu près tout ce que je raconte est très bien expliqué dans la fiche 7 de la note de synthèse de « clarification des controverses techniques », réalisée par la commission particulière en charge du débat public sur le Plan National de Gestion des Matières et Déchets Radioactifs.
Je parle là d’à peine 4 pages intitulées « Alternatives au stockage géologique profond » d’un dossier faisant partie des premiers documents mis à disposition au lancement du Débat Public.

La note de synthèse complète fait 37 pages très rapides à lire et accessibles à n’importe qui, sans connaissances particulières pré-requises, et a été avalisée par les différents acteurs du débat public, des industriels aux ONG antinucléaires.

Je pense qu’avant de donner votre avis dans la presse, vous auriez du commencer par lire ce document. J’espère au moins que ça sera fait avant la fin du débat public, ça me paraît indispensable pour la rapporteure du PNGMDR !

Enfin, le stockage géologique tel qu’actuellement envisagé est prévu pour être réversible pendant environ un siècle. C’est donc, en quelque sorte, de l’entreposage compatible avec une transformation en stockage. Cela veut dire qu’alors que nous créons des déchets nucléaires depuis bientôt un siècle, on se donne encore un siècle pour la recherche, avant d’engager des décisions irréversibles. Néanmoins, en commençant au plus tôt le stockage géologique, on évite de juste attendre, passifs, pendant tout ce temps : on donne le choix aux générations futures de sceller le stockage géologique, ou de revenir dessus.

Si on se contente d’attendre mieux, sans rien faire, on ne leur laisse aucun choix. Et puis, combien de temps faudrait-il attendre ? Deux siècles ? Mille ans ? Il y a un jour où vous envisageriez de trancher, ou l’on érige la procrastination comme maître mot ?

En résumé, après avoir défendu une option irréaliste par définition, vous terminez en proposant d’attendre passivement, sans prévoir de gestion à long terme des déchets nucléaires.
C’est une opinion approximative comme pourrait en avoir n’importe qui n’ayant pas particulièrement creusé le sujet, à commencer par la documentation mise à disposition par la CNDP. Et de la part de la rapporteure du PNGMDR je trouve que ça craint.

Une version TLDR des essentiels à retenir :

  1. Le stockage c’est définitif, l’entreposage c’est temporaire
  2. Pour les déchets de moyenne et haute activité à vie longue (MHAVL), l’entreposage c’est ce qu’on fait depuis toujours
  3. Il n’est pas envisagé de faire de l’entreposage à renouveler éternellement (générations futures, tout ça)
  4. La séparation-transmutation n’est pas une alternative au stockage en l’état actuel des connaissances
  5. On ne peut pas attendre éternellement en espérant un changement positif des connaissances, un jour
  6. Malgré tout, on n’engage aucune action définitive avant 100 ans
  7. Le stockage est donc la seule voie de gestion à long terme des MHAVL qui ne repose pas sur les géné. futures
  8. Le stockage n’est possible qu’en couches géologiques profondes
  9. Il faut lire la note de clarification des controverses du débat public avant de se lancer dans le débat, elle est vraiment excellente.

4 réflexions sur « Déchets #2 Pourquoi la France n’essaie-t-elle pas l’autre technique, l’enfouissement en subsurface ? »

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