Cycle #4 La fabrication du combustible

Retrouvez le thread initial ici.

Aux dernières nouvelles, nous avions, à partir de 7000 tML d’uranium sorti de la mine puis converti à plusieurs reprises avant de l’enrichir, tiré environ 1075 tML d’uranium enrichi entre 3 et 5%, ainsi qu’un gros tas d’uranium appauvri.

Après enrichissement

Nous allons continuer à malmener l’uranium enrichi. Sous sa forme d’UF6 encore chaud et donc gazeux, on va commencer par un petit refroidissement pour retrouver la forme d’une poudre cristalline bien plus transportable.

Puis l’on va lui faire remonter le Rhône, du Tricastin à Romans-sur-Isère (en gros, de Orange à Valence). Là, Orano va laisser sa poudre à Framatome, à l’usine FBFC (historiquement : la Franco-Belge de Fabrication du Combustible). À FBFC, il va falloir défluorer l’UF6, puis l’oxyder pour en faire du dioxyde d’uranium, de formule UO2.

C’est sous cette forme qu’il sera exploité en réacteur, sous la forme d’une… céramique. Fragile, mais super stable, chimiquement parlant. Ce qui évitera notamment d’avoir à gérer les risques d’oxydation au contact de l’eau, par exemple (dans un réacteur à eau, c’est sympa).
C’est aussi une forme très stable thermiquement : il faut le chauffer comme un malade, plus de 2 800 °C, pour fondre l’UO2, ce que les chieurs de la sûreté (à vot’ service) aiment bien, quand on parle d’études d’accidents graves. En contrepartie, ça conduit mal la chaleur, et donc ça chauffe plus facilement – on ne peut pas tout avoir.

Et l’UO2, on va également le récupérer en poudre.

Du dioxyde d’uranium à l’élément combustible REP

Là, il va se faire torturer : ajustement de la porosité, compactage, concassage, granulation. 
Puis pressage à haute pression dans des moules pour lui donner une forme de pastille.
Frittage (cuisson à haute température).
Puis, rectification des dimensions et contrôles.Le résultat, ce sont ces petites pastilles toutes croquignolles, de 13,5 mm de long par 8,19 de diamètre.

Je rappelle que je me place dans un cadre très chauvin, et je vous parle donc de combustible REP pour les réacteurs EDF français. Le combustible que je vais vous décrire est un peu différent dans les REB, et n’a rien à voir dans les autres types de réacteurs.

Ces pastilles, on va les empiler dans des tubes, qu’on appelle crayons, en alliage de zirconium.
Le zirco, c’est un choix lié aux contraintes mécaniques, chimiques, et à l’absorption des neutrons.

On les empile donc dans des tubes qui font, du coup, environ 1 cm de diamètre.
Et quatre à cinq mètres de long, fermés à leur extrémité par un bouchon soudé, et rempli d’hélium sous pression pour combler les interstice entre les pastilles et les gaines.
Réalisez bien, 1 cm de diamètre pour 4 à 5 mètre de long !

Ces crayons, on va les regrouper dans ce qu’on appelle des « assemblages combustible ». Des packs de 17×17 crayons (dans nos REP) rigidifiés par plusieurs grilles tout du long.

Ce qui nous fait, pour chaque assemblage, 264 crayons de 250-300 pastilles.
Et si 17×17 crayons ne devraient pas faire 264, c’est parce qu’il y a 25 crayons qui sont remplacés par des « tubes guides » en acier inox. 
On peut voir sur cette image un assemblage avec les tubes guides, les grilles, et sans crayon.

Outre une fonction structurelle, pour maintenir la géométrie de l’assemblage, ces tubes ont une fonction de contrôle.
Pour commencer, dans chaque assemblage combustible, le tube-guide central est dédié à l’instrumentation (sauf sur les assemblages de l’EPR où celui-ci a été remplacé par un crayon combustible).
Et dans environ un tiers des assemblages, les tubes-guides servent à guider (d’où le nom) des grappes de contrôle.

Cette grappe est un faisceau de crayons fait d’un matériau qui absorbe très bien les neutrons (alliage Argent-Indium-Cadmium, ou carbure de bore, par exemple).
Elle sert soit à réguler la puissance du cœur, soit à déclencher l’arrêt de la réaction en chaîne en s’enfonçant brutalement dans le cœur.
Et on appelle « l’araignée » la grappe qui retient les crayons absorbants d’un même assemblage. Ça s’explique assez bien :

Et voilà à quoi ressemble un assemblage, en termes d’échelle !

Vous me mettez comme ça, côte à côte, en essayant de faire un truc vaguement circulaire, 157 assemblages de 4 m de long, et vous avez un cœur de réacteur de 900 MW.

Si vous m’en calez, dans une configuration semblable, 193 de 4,8 m de long, c’est un cœur de réacteur de 1300 MW.

Pour les assemblages de 900 MW et 1300 MW, on est sur 700 et 800 kg par assemblage, dont 460 et 540 kgML d’uranium.

Et, chaque année, ce sont 1200 tML d’uranium qu’on enfourne dans les réacteurs EDF français, soit, à la louche, 2400 assemblages, 600 000 crayons, 3000 km de pastilles.

Mais ce qui se passe dans le cœur, ça sera pour le prochain billet.

Pour l’heure, regardons de plus près ces chiffres.

En chiffres : de la pastille au kilowattheure

Dans un cœur de réacteur de 1300 MW (c’est la puissance électrique fournie, ça veut dire que la chaleur produite, c’est 3900 MW), on se retrouve avec 240 km de crayons.
Cela représente 16 millions de pastilles, qui, en fonctionnement, produisent 3900 millions de watts de chaleur.
Autrement dit, chaque pastille délivre 250 W.

Une pastille, qui ne fait même pas la taille d’une phalange d’auriculaire, délivre 250 W de chaleur à elle seule. 3 pastilles, vous avez de quoi faire chauffer vos repas façon micro-onde. 10 ou 15 pastilles, c’est l’appartement que vous chauffez.

Et en électricité ?

Le combustible de notre réacteur, avant d’être « épuisé », va avoir fourni environ 25 TWh d’électricité (on ne parle plus de chauffage, là, mais bien d’électricité). Vingt-cinq milliards de kilowattheures, soit 1600 kWh par pastille.

Quand j’ai rédigé le thread en mi-novembre 2018, j’avais relevé ma consommation personnelle d’électricité (chauffage électrique inclus). Je tournais à une vingtaine de kilowattheures par jour.

Autrement dit, je consommais une seule pastilles tous les 80 jours.

Et c’est ce que je trouve magnifique dans l’énergie nucléaire. Cette incroyable quantité d’énergie produite par cette minuscule quantité de matière.
1600 kWh d’électricité, ou 4800 kWh de chaleur.
4800 kWh de chaleur, c’est la chaleur de la combustion de dix gros pleins d’essence (450 L, environ).

Dans une pastille.

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