Cycle #7 Recyclage, MOx, URT et URE

Pénultième article sur le cycle du combustible nucléaire. Cette fois, ça y est : on va enfin comprendre pourquoi on appelle ça un « cycle » alors que, jusqu’à présent, ça n’avait rien de circulaire. Bref : on va parler de recyclage.

La première étape du recyclage du combustible usé, c’est son traitement pour en séparer les composants. Ça, on l’a déjà vu ici.

Au programme de cet article, on a :

  • Bilan matière
  • Potentiel énergétique du plutonium de retraitement
  • Recyclage du plutonium
  • Fabrication du MOx
  • Emploi du MOx en réacteur
  • Enjeux futurs du MOx
  • Le MOx après irradiation en réacteurs
  • Bilan du cycle et taux de recyclage
  • Uranium de retraitement.

Bonne lecture !

Bilan matière

On va re-faire le point sur un petit bilan de matière.
Au départ de notre cycle était l’uranium naturel, dont la France est importatrice et consommatrice à hauteur d’environ 8000 tML/an.
Conversion, ultracentrifugation, voilà qu’il nous reste 1075 tML de matière prête à faire du combustible.
Or, ce que l’on charge dans les réacteurs, on a dit que c’était 1200 tML/an environ.
Cette incohérence entre le tonnage de combustible produit et le tonnage consommé était intentionnelle, et on va l’expliquer à présent.

Naturellement, ce que l’on décharge des réacteurs, ce sont 1200 tMLi, autant que l’on en a chargé.

Toutefois, dans l’article sur le retraitement, c’était à nouveau de 1075 tMLi/an que l’on évoquait ! C’était, là encore, intentionnel.
De cette quantité, le retraitement permet de séparer 11 tonnes de plutonium et 45 tonnes de futurs déchets de haute activité à vie longue. Et le reste, c’est de l’uranium, que l’on appelle « uranium de retraitement », ou URT.

Toutefois, ce sont les 11 tonnes de plutonium qui nous intéressent le plus.

Potentiel énergétique du plutonium de retraitement

Composées, pour environ deux tiers, de plutonium 239 et d’un tiers d’autres isotopes, ça peut paraître anecdotique, 11 tonnes, quand on parle d’un flux de matière de 8000 tonnes par an.

Mais ces 11 tonnes ont un potentiel énergétique qui ne déconne pas.

Pour vous faire une terriblement mauvaise comparaison : Fat Man, c’était à peine 6 kg). Pour faire une comparaison un peu plus honnête, ce ne sont pas 11 tonnes de plutonium à 8000 tonnes d’uranium qu’il faut comparer, mais 7 tonnes (environ) de plutonium 239 (fissile) à 56 tonnes d’uranium 235 (fissile), qui est la quantité présente dans les 8000 tonnes importées annuellement.

Finalement, 7 tonnes contre 56… C’est déjà moins ridicule !

Allez, encore une comparaison ? Un gramme de plutonium 239 qui fissionne, ça libère la même quantité d’énergie qu’une tonne de pétrole brûle. Est-ce que 11 millions de tonnes de pétrole, ça passerait pour anecdotique ? Je ne pense pas : c’est 15% de la consommation française annuelle de pétrole et produits pétroliers !

Bref, ce potentiel énergétique, on ne va pas se priver d’en profiter.

Recyclage du plutonium

On va donc se resservir de ce plutonium, en le diluant dans de l’uranium appauvri (vous vous souvenez, les résidus de l’enrichissement) pour fabriquer du combustible identique (en apparence) au combustible nucléaire classique, à l’uranium.

11 tML de plutonium, diluées dans 114 tML d’uranium appauvri, ça nous fait les 125 tML de combustible supplémentaire qui manquaient dans notre bilan matière.

125 tonnes d’Oxydes Mixtes (MOx) qui viennent compléter 1075 tonnes d’Oxyde d’Uranium (UOx).

Et la fabrication de ce MOx est réalisée par Orano Melox, à Marcoule, dans le Gard. Juste à côté du CEA de Marcoule, qui a vu les premiers réacteurs électrogènes et la première usine de retraitement ! Bref, la boucle est bouclée, aussi bien en termes historiques qu’au niveau du flux de matière.

Fabrication du MOx

Le procédé de fabrication est très semblable à celui de l’UOx. Avec, en plus, en amont des opérations, une soigneuse phase de mélange, pour avoir une répartition homogène du plutonium dans l’uranium, et la bonne quantité de plutonium dans chaque crayon. En gros, de l’ordre de 10% de la masse des noyaux lourds, c’est du plutonium (on retrouve bien, en gros, le ratio de 11 tML qui deviennent 125 tML de combustible).

Il y a quand même une particularité qui complexifie grandement les opérations : la dangerosité de la matière manipulée. Le plutonium est extrêmement nocif par inhalation (jusqu’à 200x plus pour le plutonium 239 que l’uranium 235) et peut contenir des traces d’américium, qui est aussi un émetteur alpha nocif, mais en plus de ça, un émetteur gamma, donc irradiant même de l’extérieur.

Ainsi, contrôle stricts pour limiter la teneur en américium du plutonium reçu de l’usine de La Hague, opérations à distance chaque fois que c’est possible et, si des opérations sont réalisées au contact de la matière, c’est au travers de boîtes à gants : des enceintes fermées et ventilées pour toujours être en dépression par rapport à la pièce où elles sont, et où peut circuler le personnel. L’air allant de la pièce vers l’intérieur des boîtes à gants, les poussières de plutonium ne peuvent pas sortir des boîtes tant que la dépression est maintenue.

Et les salles dans lesquelles sont ces boîtes sont elles-mêmes en dépression par rapport au reste du bâtiment.

Lui même en dépression par rapport à l’extérieur.

C’est ce que l’on appelle une cascade de dépression, et ça illustre très bien le principe de défense en profondeur ^_^.

Et les boîtes à gants ne sont pas une spécificité du milieu nucléaire :

Emploi du MOx en réacteur

Le MOx à la sortie de l’usine de Melox se présente sous la forme d’assemblages combustibles similaires à ceux que l’on connaît pour l’UOx, prêt à livrer à EDF – ou aux clients à l’international.

Par contre, côté client, c’est plus compliqué que ça : le plutonium a des propriétés, notamment neutroniques, qui ne permettent pas de juste substituer, dans les cœurs de réacteurs, l’UOx par du MOx.

Par exemple, il est plus exigeant en réactivité du pilotage ; tout en étant moins sensible aux grappes d’absorbant. Il faut donc changer celles-ci, ainsi que faire les changements associés dans les automates et les chaînes de commande, par exemple. Et, nécessairement, adapter en fonction les Règles Générales d’Exploitation, le Rapport de Sûreté, les procédures, etc.

Bref, ça n’est pas si simple.

En France, ce sont donc 24 réacteurs sur 58 qui sont autorisés à fonctionner avec du MOx – et encore, pas plus d’un assemblage sur trois, le reste en UOx. Et aux dernières nouvelles, 22 réacteurs étaient effectivement chargés en MOx.
Pourquoi seulement 22 ? Parce que 22 suffisent à écouler tout le plutonium produit par Orano La Hague, tout simplement.

Enjeux futurs du MOx

Et j’en profite pour mentionner quelque chose qui ressort avec les actualités (la PPE) : on ne doit pas stocker de plutonium séparé.

C’est un engagement de la France au nom du traité de non prolifération nucléaire : le plutonium « séparé » (sous forme extraite du combustible), c’est une matière potentiellement utilisable dans l’armement, et donc moins on en a, plus sûr ça apparaît.

Nuançons toutefois : le Plutonium issu des REP est trop riche en isotopes autres que le 239, il est donc peu propice à faire des bombes – peut-être même ne le permet-il pas du tout, je ne sais pas 🤔
En tout cas, le Plutonium de qualité militaire, produit par les réacteurs à graphite et eau lourde, a une teneur en Plutonium 239 bien plus haute que ce qui est permis par les REP.
Ça, c’est pour ceux qui croient encore que le parc nucléaire est à vocation militaire (alors que le dernier réacteur à graphite français a été arrêté il y a 25 ans).

BWEF toujours est-il que l’on se refuse à accumuler plus de plutonium séparé que nécessaire pour les besoins de fluidité du cycle (environ 40 tonnes quand même).

Le rapport avec l’actualité ?
Ben ça nous oblige à être sur des flux tendus de plutonium.
Et si on ferme des réacteurs moxés, on consommera moins de plutonium.
Si on ne veut pas stocker, il faut donc moins en produire. Donc moins retraiter.
Et le tonnage de combustible retraité diminuera plus vite que le tonnage de combustible usé produit.

Donc on va accumuler du combustible usé ! Quid du long terme ? Quid du remplissage des piscines ?

Bien sûr, tout ça, ça s’anticipe. Notamment en développant la possibilité de moxer d’autres réacteurs.
Les études et travaux nécessaires prennent du temps, donc on est dans de la vision à long terme, là.
Et vous savez qui n’est pas bon en vision à long terme ?

Les politiques.
Qui décident arbitrairement des fermetures prématurées de réacteurs nucléaires.
Remettant en cause la planification réalisée, donc…

Pratique.

Mais après cette digression politique, revenons à la technique.

Le MOx, après irradiation en réacteur

Si le retraitement est l’aval du cycle, le retraitement du MOx est, en quelque sorte, l’aval du deuxième cycle.
Sauf que le retraitement du MOx… On ne le fait pas. On l’a réalisé, à titre expérimental, pour quelques tonnes de combustible d’un client étranger, mais on ne l’a pas industrialisé.

La raison est qu’après le passage du MOx en réacteur, s’il demeure toujours une certaine quantité de plutonium à bord, le mélange d’isotopes qu’il contient est encore moins favorable à son emploi, et notamment en réacteur à eau pressurisée.

Moyennant des évolutions importantes du combustible, ça s’envisage. Dans d’autres réacteurs de nouvelle génération, ça s’envisage aussi (mais ça, on en parlera une prochaine fois !).

Mais à l’heure actuelle, chaque année, on décharge donc 1200 tML de combustible usé, dont 1075 tML que l’on retraite et dont on recycle le plutonium et 125 tML qu’on entrepose. Avec, inéluctablement, des capacités d’entreposage qui se remplissent.

D’où le projet d’EDF de construire une piscine centralisée pour son combustible usé, et notamment le MOx usé, probablement sur le site de la centrale de Belleville-sur-Loire. Afin d’entreposer ce MOx usé en attendant de décider de son devenir : recyclage en réacteur à eau ? En réacteurs du futur ? Retraitement puis stockage géologique des composants ? Stockage géologique direct ?

Bilan du cycle et taux de recyclage

On a à présent les billes pour affiner la notion de « cycle » que l’on se balade depuis six articles.

Il s’agit d’un cycle du plutonium, plus que de l’ensemble du combustible. Un cycle, qui plus est, en « mono-recyclage » : la matière recyclée ne l’est qu’une seule fois. Les anglophones parlent de cycle « twice through » parce que la matière fait deux passages en réacteurs ; c’est la même idée.

Ce n’est pas un cycle qui reboucle davantage, voire à l’infini, qu’on appelle « multi-recyclage ».

Un de ces jours, je ferai un exposé chiffré sur les avantages de ce cycle en mono-recyclage par rapport au « cycle ouvert » (quel nom idiot), mais ce n’est pas le sujet ici.

Quel est, donc, le taux de recyclage de ce procédé ? Recycle-t-on à 1%, comme le disent les antinucléaires, ou à 96%, comme le laisse entendre l’industrie ?

Et bien, tout dépend de ce que l’on compte, et comment on le compte.

Les antinucléaires, eux, veulent vous faire comprendre que le recyclage n’existent pas, que c’est du gâchis sans intérêt de temps et d’argent, une prise de risque inutile, itou itou. Il suffit d’écouter ou lire les interventions de Yannick Rousselet, directeur de campagne antinucléaire chez Greenpeace France, dans les médias : je ne caricature même pas.
Eux comptent la quantité de matière recyclée : 11 tonnes de plutonium, sur 1200 tonnes de combustible, effectivement, ça ne fait pas beaucoup. Même pas 1%.

Les industriels, eux, veulent plutôt valoriser leur travail et leur savoir-faire, et ça se comprend. Ils comptent donc le potentiel énergétique recyclé – et j’adhère à cette façon de faire, puisque je comparais au début de cet article le plutonium au pétrole. Alors on compte 125 tML de combustible recyclé, sur 1200 tML consommées : plus de 10% de taux de recyclage.
On peut aussi compter l’économie en uranium naturel miné, et on retombe sur ce nombre de -10%.

Et quand ceux qui affirment que les mines détruisent l’environnement et tuent les populations locales, crient au néocolonialisme, affirment ensuite que réduire de 10% l’activité minière ça ne sert à rien, je me désole un peu.

Et si des fois sort le nombre de 96%, il faut garder en tête que c’est la teneur en matière valorisable (uranium et plutonium) dans le combustible UOx. Mais valorisable ou recyclable, ça ne veut pas dire valorisé ou recyclé (affirmation valable aussi quand on parle de panneaux solaires, ou d’éoliennes, by the way). Donc les 96% sont certes recyclables, mais pas recyclés : tout le plutonium l’est, et entre 0 et pas beaucoup d’URT l’est, selon les périodes. Et 96% du combustible UOx usé, ce n’est pas 96% du combustible usé, puisqu’il reste tout le MOx usé qui n’est pas retraité.

Bon, retenons 10% de taux de recyclage : est-ce qu’on peut faire mieux, avec notre parc nucléaire actuel et nos usines de retraitement actuelles ?

La réponse est OUI !

Uranium de retraitement

Sinon, je n’en parlerais pas 😁

Vous aviez noté que lors du retraitement, on récupérait un peu plus de 1000 tML d’uranium de retraitement, qu’on avait nommé URT ?

Et bien il se pourrait que ce dernier ne soit pas tombé à 0% d’uranium 235. En fait, il en contient autant, si ce n’est plus, que l’uranium naturel !
Bon, par contre, il est fourni avec des traces de polluants : produits de fission et uranium 236, non fissile et très puissant absorbeur de neutrons.

Mais ça fait 1000 tML par an qu’on ne réutilise pas, alors qu’elles pourraient bien faire grimper notre taux de recyclage ! Surtout qu’au fil du temps, c’est un stock de 30 000 tML qu’on en a fait. Sacrée quantité d’énergie qui dort !

En plus, on sait le réutiliser, EDF l’a expérimenté sur les réacteurs de la centrale de Cruas de 1994 à 2013, avant d’abandonner pour raisons économiques. À l’époque, c’était des entreprises russes, et néerlandaises qui procédaient à l’enrichissement de l’URT (qui devenait alors URE, Uranium de Retraitement Enrichi).
Parce que pour enrichir l’URT, il fallait y aller à coup de centrifugeuses. Or, à l’époque, en France, on n’avait que l’enrichissement par diffusion gazeuse à notre portée.

J’vous remets un petit lien vers l’article sur l’enrichissement, au cas où 😉

Bilan des essais à Cruas : 4350 tML ont été enrichies pour en tirer 540 tML de combustible, consommées dans deux des quatre réacteurs. Fin en 2013, disions-nous, mais EDF prévoit de s’y remettre à partir de 2023 – toujours, cependant, en faisant enrichir l’uranium par des pays étrangers.

Avec les 4 réacteurs de Cruas branchés sur de l’URE, le taux de recyclage grimperait à 16%. Et à partir de 2027, ce sont 3 réacteurs de 1300 MW qui pourraient à leur tour basculer sur de l’URE, poussant le taux de recyclage à 25% ! 10% par le MOx, 15% par l’URT/URE.

Et pourtant, croyez-le ou non, les écologistes traditionnels continueront à se déclarer opposés au recyclage. Les écolos.

Oui, oui, je prends les paris.

6 réflexions sur « Cycle #7 Recyclage, MOx, URT et URE »

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