Aujourd'hui, le risque qu'ils induisent est extrêmement faible : leur gestion, leur entreposage (=temporaire) est aisé. Les risques sont très bien maîtrisés et il n'y a aucune raison de craindre une dégradation de la sûreté à court à moyen terme.
Petit rappel sur les déchets nucléaires… Vous le savez tous, certains, parmi les plus nocifs, demeurent dangereux pendant des durées qui dépassent de très loin la portée humaine.
Aujourd’hui, le risque qu’ils induisent est extrêmement faible : leur gestion, leur entreposage (=temporaire) est aisé. Les risques sont très bien maîtrisés et il n’y a aucune raison de craindre une dégradation de la sûreté à court à moyen terme. Néanmoins, cette sûreté est acquise au prix d’un travail perpétuel de surveillance, de maintenance des installations, et, éventuellement, périodiquement, de reconditionnement des déchets.
Et tant que la sûreté des déchets est assurée de la sorte, chaque génération est en charge des déchets de toutes les générations précédentes. C’est ainsi que, dans ma vie professionnelle, je me retrouve à étudier des déchets produits quand mon grand-père avait mon âge actuel. Et mon salaire pour faire ces études, on le paye au travers de nos factures électriques. Ce n’est pas grave, c’est même normal : toutes les actions humaines à un instant donné peuvent avoir des répercussions des années après. Je ne blâme personne. Je ne m’en plains pas.
Toutefois, nous parlons de déchets dont la gestion doit être assurée pendant des dizaines de millénaires pour que la sûreté demeure. QUI peut affirmer que les moyens financiers, humains et technologiques actuels se renouvelleront à de telles échéances ? Personne, j’espère ? Autrement dit, l’entreposage, comme actuellement, n’est pas durable. C’est une solution viable à court terme et qui engage chaque génération N+1 à continuer l’effort, presque indéfiniment.
De là vient l’idée du stockage : définitif, irréversible. On travaille à mettre en oeuvre un moyen de gestion qui pérennise cette sûreté… Sans requérir, à terme, la moindre implication humaine, financière, technologique. Sans engager nos descendants à continuer l’ouvrage. Et c’est de cet objectif que descend le stockage géologique, un jour concrétisé par Cigéo. Venir assurer le long terme ; libérer les générations futures – passé une certaine date – de cette charge.
Ainsi, vous comprendre que l’entreposage, autrement dit le renouvellement de la gestion court terme que l’on assure aujourd’hui, n’est PAS une alternative au stockage. C’est une solution d’attente.
Je répète : l’entreposage n’est PAS une alternative au stockage. Ceux qui l’affirment mentent. Par ignorance ou délibérément, mais ils mentent.
L’entreposage, c’est ne rien faire de plus qu’aujourd’hui, et laisser aux générations futures le soin d’agir à notre place. Ou de ne rien faire non plus, continuer comme aujourd’hui, et elles-mêmes déléguer à leurs propres descendances.
Entreposer plutôt que stocker, c’est cacher les questions de long terme sous le tapis. C’est procrastiner, en se disant que quelqu’un fera bien quelque chose un jour. Ou que l’humanité disparaîtra avant, et advienne que pourra.
Ce pour quoi aujourd’hui militent les antinucléaires, c’est précisément ce qu’ils ont dénoncé depuis les 50 dernières années. Ils ont retourné complètement leur veste, en panique devant l’idée qu’une gestion à long terme soit mise en œuvre… et les prive d’un des principaux éléments de langage dont ils dépendent pour leur business / politique de la terreur.
Un regard d’outre-Manche en complément. 4 tweets à dérouler.
Et procratiner c'est la garantie d'un accident. Mon expérience pro au UK des déchets entreposés pendant des décennies à Dounreay ou Sellafield est qu'au bout d'un moment on finit par oublier ce que l'on a entreposé. Après ça donne beaucoup de boulot à des gens comme moi // https://t.co/6gbWz70VFH
Disclaimer : Ce thread / cet article s’apparente à un débunk d’une publication de Greenpeace France, notamment reprise dans un article du Parisien servant de support à ce décorticage. Retrouvez l’article du Parisien ici. Malgré quelques erreurs dans ce dernier, ce n’est pas l’article que je dénonce, mais le discours tenu par Greenpeace et les pseudo-révélations dont ils se targuent. L’article du Parisien n’est qu’un support, qui a été choisi pour la carte qui y est jointe… Vous allez comprendre dans la suite.
Alors que nous raconte le Parisien ce matin ? Et bien que Greenpeace a établi une carte des sites de stockage et transport des matières et déchets radioactifs, « une carte que nous nous sommes procurée en exclusivité ».
Qu’ils se sont procurés, hein. Elle n’a pas été livrée gentiment avec le communiqué de presse tout prêt-à-diffuser, personne n’irait imaginer ça. #Ghostwriting ? Rhoooo, tout de suite les grands mots…
Bon, cette carte, à quoi ressemble-t-elle ? Celle du Parisien est la même que celle de Greenpeace, à ceci près qu’ils prennent des couleurs différentes pour les axes de transport (on y reviendra) et les sites d’entreposage/stockage.
Carte dans l’article du ParisienCarte sur le site de Greenpeace France
La version du Parisien a une grande qualité, c’est qu’elle dispose de filtres pour éliminer les points de transport et n’afficher que les entreposages/stockages. Et alléger la carte d’un tas de trucs pas très pertinents.
La carte du Parisien, avec et sans filtre sur les transports
Oui, non, parce que quand même, parlons-en des transports. C’est quoi ce délire de mettre des points pour les transports ? Mettre les routes/voies ferrées en couleur, ou faire des flèches, ça aurait pas été plus pertinent ? Parce que là, les mauvais esprits comme pas-du-tout-moi pourraient très bien aller dire que sur la carte de Greenpeace, les transports servent surtout à remplir des zones qui seraient vides et trop peu anxiogènes sans ça. Comme ne le laisse pas du tout penser la ligne de points bleus entre Lyon et Dijon, ou les deux lignes qui partent des Pays de la Loire vers Caen. Deux régions bien vides quand on enlève les transports, il est vrai.
Mais bon, s’il n’y avait que ça qui n’allait pas, ça serait la dose quotidienne de peur fournie par Greenpeace, habilement gérée par le Parisien qui fournit ces filtres pour avoir quelque chose d’un peu plus… Factuel. Et ça aurait été bien. Hélas, y’a d’autres choses qui clochent. Comme par exemple, les mines. Dans les sites d’entreposage/stockage de déchets/matières (je vais juste dire « sites » dans la suite, sinon c’est chiant), il y a quelques anciennes mines d’uranium.
Alors oui, les mines contiennent leurs propres déchets, donc je conçois qu’on les fasse apparaître sur la carte. Pourquoi pas. Toutefois, sur l’explication de la « méthode » de la carte, Greenpeace nous apprend qu’il y aurait plus de 200 mines. Ils disent aussi n’en faire apparaître quelques unes, j’en compte 15. Je comprends qu’ils ne mettent pas les 200, mais pourquoi 15, pourquoi celles-là… La méthode ne l’explique pas. De là à dire que c’est pour compléter le remplissage des zones un peu vide…
Au final, sur la carte, déduction faites des points qui représentent des transport (45% du total) et de ceux qui représentent des mines (10%), moins de la moitié représentent de vrais sites. C’est à l’infographie ce que le bourrage des urnes est à la politique, si vous voulez mon avis.
Et si vous le vouliez pas, désolé, c’est fait maintenant.
Bon, la catastrophe médiatique ne s’arrête pas là. L’inénarrable Yannick Rousselet, chargé de campagne antinucléaire chez Greenpeace France (ce type a pour métier d’être antinucléaire, c’est quand même particulier) nous gratifie dans cet article de quelques habiles tirades à la médiocrité toute Greenpeacesque.
Parce qu’il faut savoir qu’une carte semblable, l’Agence Nationale pour la Gestion des Déchets Radioactifs (ANDRA) en met une à disposition, actualisée tous les 3 ans, très détaillée, sur le site de son Inventaire.
La carte est très détaillée, munie de filtre pour trier les déchets géographiquement mais aussi par catégorie (très faible activité, haute activité…), par origine… Si la transparence avait un portail, ce serait celui-ci !
Du coup,
Quelle est la valeur ajoutée par la carte de Greenpeace ?
me demanderez-vous ?
Et bien c’est une très bonne question ! Je pense que même les journalistes se sont un peu interrogés, parce que tous les articles que j’ai vu mentionnent la carte de l’ANDRA, je crois.
Et bien ce que nous apprend Rousselet, directeur de campagne antinucléaire chez Greenpeace France, c’est que leur plus-value, c’est de retirer de l’information.
C’est à dire que là où l’ANDRA vous donne les types de déchets, leur volume, leur activité…
Et vous donne des filtres pour une recherche assez fine – sans parler de la possibilité de télécharger les tableurs pour pousser la recherche – Greenpeace vous retire toute information potentiellement utile. Après tout, des déchets nucléaires sont des déchets, non ?
Le meilleur étant la petite sortie de Rousselet dans l’article du Parisien.
« L’Andra mélange les torchons et les serviettes. En y incluant par exemple des déchets issus des activités médicales. »
Donc Greenpeace a appliqué un filtre pour retirer les déchets du médical. Sans doute des déchets gentils. Ou de la radioactivité gentille. Par contre, ils ont retiré toute autre nuance. Et ont laissé mélangés le nucléaire électrogène, militaire, et les mines. Oh, et les industries de traitement des terres rares, qui produisent aussi des déchets radioactifs.
Les torchons, les serviettes, tout ça…
L’Andra classe les déchets radioactifs par familles et grandes catégories, déterminées en fonction de leur activité et durée de vie. Ce classement fait bien apparaitre les différentes origines des déchets, ici sur le site de l’inventaire national https://t.co/owZAuYgAsWpic.twitter.com/3qMwLQ5ozD
Y’a juste rien qui va dans la démarche de Greenpeace… Ils pompent des données publiques, en font une carte allégée de toute la transparence exigée à l’industrie nucléaire, avec des méthodes douteuse d’accroissement du caractère anxiogène, et se posent en héros.
Maintenant, au-delà de Greenpeace, y’a des trucs pas brillants de la part des journalistes… Je reviens sur l’article du Parisien :
Ben ouais mais non… Ce sont 4% du combustible usé, qui sont vitrifiés… Soit 3000 ou 4000 m3 de déchets. Pas 4% des 1,6 millions de mètres cubes de déchets, ce qui ferait 64 000 m3. Une erreur d’un facteur 15 à 20…
En plus les vitrifiés ils sont entreposés sur les sites où on fait de la vitrif’, donc Marcoule (CEA) et l’usine de la Hague (Orano). Aucunement dans les centrales.
Et là, ça ne va pas non plus. Ça a beau être une revendication de Greenpeace France, faire classer l’uranium de retraitement en déchet, actuellement, ce n’est pas le cas, et tu n’as pas le droit de présenter une revendication comme un fait acquis.
En pratique, VTC (vies très courtes) + TFA (très faibles activités) + FMAVC (faibles et moyennes activités à vies courtes), ça représente 91% du volume de déchets, qui a déjà une solution de stockage à long terme mise en oeuvre.
Le reste représente 142 000 m3 sur un total de 1 619 000. Du coup, dire que 95% nous restent sur les bras… C’est encore foireux.
Je pense qu’on ne pourra pas mieux conclure qu’ainsi :
C'est à la question « Pourquoi la France n'essaie-t-elle pas l'autre technique, l'enfouissement en subsurface […] ? » que ça vrille grave. Vous rappelez à juste titre que la loi de 91 a fixé trois axes de recherche, jusque-là, nous sommes d'accord.
On les appelle entreposage, stockage, et « séparation-transmutation ». Dans le vocabulaire courant, la différence entre les deux premiers termes n’est pas évidente, alors on va éclaircir cela.
D’après l’article L542-1-1 du Code de l’Environnement, « l’entreposage […] est l’opération consistant à placer ces substances à titre temporaire dans une installation spécialement aménagée en surface ou en faible profondeur à cet effet avec intention de les retirer ultérieurement. » Notez le « à titre temporaire » qui a toute son importance, car le même article donne aussi la définition du stockage : c’est « l’opération constant à placer ces substances dans une installation spécialement aménagée pour les conserver de façon potentiellement définitive […] sans intention de les retirer ultérieurement ». Connaître et comprendre ces définitions est capital pour débattre de ce sujet.
Je pense qu’il est intéressant aussi de parler de l’article L542-1 qui mentionne que « La recherche et la mise en oeuvre des moyens nécessaires à la mise en sécurité définitive des déchets radioactifs sont entreprises afin de prévenir ou de limiter les charges qui seront supportées par les générations futures ».
Ce passage est intéressant car il explique pourquoi l’entreposage n’a pas été retenu comme solution aux exigences de la loi de 91 : étant par définition temporaire, l’entreposage consiste à léguer aux mêmes générations futures l’essentiel des charges et risques. L’entreposage n’a d’autre but que l’attente, l’attente de la mise en oeuvre de l’une ou l’autre des deux autres solutions évoquées : le stockage et la séparation-transmutation.
Ce dernier consiste théoriquement à séparer les radionucléides aux demi-vies les plus longues des autres éléments contenus dans les déchets et, par irradiation de ceux-ci, les transformer en éléments à vie plus courte.
Compte tenu des difficultés théoriques, et à fortiori pratiques, dès 2005, il a été admis que la séparation-transmutation n’était pas une alternative au stockage géologique, au mieux un complément, une optimisation.
Et ce, notamment en raison de la difficulté à la mettre en oeuvre sur les déchets déjà produits, et, surtout, en raison de l’impossibilité d’envisager une fin du nucléaire si l’on repose sur cette méthode : il faudrait en permanence avoir des réacteurs pour irradier les déchets produits par des réacteurs. En terme d’irréversibilité totale, c’est le summum – ou, plus pragmatiquement, on en viendrait au final toujours au stockage géologique.
Et même dans une optique d’optimisation du stockage géologique, la séparation-transmutation s’est montrée moyennement convaincante. La transmutation du curium est trop dangereuse par rapport aux gains espérés, seul l’americium serait jouable. L’IRSN s’est néanmoins prononcé sur ce point également en 2012, dans un avis sur une étude du CEA.
Sur le plan de la sûreté du stockage géologique, les gains escomptés seraient limités. En effet, la transmutation des actinides mineurs ne modifierait pas l’impact radiologique calculé du stockage ; elle permettrait toutefois de diminuer la charge thermique des déchets HAVL, ce qui constitue un élément favorable en termes de réduction de l’emprise souterraine et du volume excavé.
Au final, l’IRSN a considéré que les gains espérés de la transmutation des actinides mineurs, en termes de sûreté, de radioprotection et de gestion des déchets, n’apparaissaient pas décisifs au vu notamment des contraintes induites sur les installations du cycle du combustible, incluant les réacteurs et les transports.
Reste donc le stockage géologique comme seul moyen de gestion à long terme des déchets nucléaires qui respecte l’engagement de limiter au possible la charge pour les générations futures. Article L541-2, alinéa II-3°.
Maintenant, penchons nous, Emilie Cariou, sur ce que vous nous exposez dans Le Point.
L’essentiel de l’interview est intéressant… C’est lorsque vous déplorez qu’il faudrait que « de véritables recherches soient menées sur le stockage en subsurface, qui a l’avantage d’être réversible, et sur la séparation-transmutation », que ça devient honteux. Madame Cariou, le stockage ne peut se faire qu’en profondeur (pour raisons de sûreté à long terme) et sans réversibilité, du moins à long terme, puisqu’ayant vocation à être définitif (Cf. définition dans le code de l’environnement).
Ça, c’est un fait scientifique sur lequel vous n’êtes pas légitime pour revenir. En surface ou faible profondeur, il est impossible de réaliser quelque chose de fiable à long terme, il s’agirait donc d’entreposage.
Donc « stockage en subsurface », c’est impossible PAR DÉFINITION. Ce que vous proposez de réaliser en sub-surface, probablement parce que les lobbies antinucléaires militent activement pour en ce moment, c’est de l’entreposage. Temporaire.
Vous déplorez donc que « d’autres techniques n’ont pas été étudiées » en donnant pour exemple quelque chose d’étudié depuis 1991 et dont il est dit dans le Code de l’Environnement qu’il ne s’agit pas d’une alternative au stockage géologique. Votre proposition est en contradiction avec l’objectif de réduire la charge sur les générations futures, parce qu’elle consiste à faire du temporaire à durée indéterminée. Elle consiste tout simplement à ne rien faire et laisser nos descendants décider et agir.
Je ne pense pas que ce soit par malveillance, mais par ignorance. C’est regrettable, car à peu près tout ce que je raconte est très bien expliqué dans la fiche 7 de la note de synthèse de « clarification des controverses techniques », réalisée par la commission particulière en charge du débat public sur le Plan National de Gestion des Matières et Déchets Radioactifs.
Je parle là d’à peine 4 pages intitulées « Alternatives au stockage géologique profond » d’un dossier faisant partie des premiers documents mis à disposition au lancement du Débat Public.
La note de synthèse complète fait 37 pages très rapides à lire et accessibles à n’importe qui, sans connaissances particulières pré-requises, et a été avalisée par les différents acteurs du débat public, des industriels aux ONG antinucléaires.
Je pense qu’avant de donner votre avis dans la presse, vous auriez du commencer par lire ce document. J’espère au moins que ça sera fait avant la fin du débat public, ça me paraît indispensable pour la rapporteure du PNGMDR !
☢️ Nommée rapporteure de l’évaluation du Plan national de gestion des matières et déchets #radioactifs (PNGMDR) au sein de l’@AN_OPECST
➡️ Un travail essentiel pour évaluer la gestion de nos matières et déchets radioactifs. pic.twitter.com/zi6meAGCDU
Enfin, le stockage géologique tel qu’actuellement envisagé est prévu pour être réversible pendant environ un siècle. C’est donc, en quelque sorte, de l’entreposage compatible avec une transformation en stockage. Cela veut dire qu’alors que nous créons des déchets nucléaires depuis bientôt un siècle, on se donne encore un siècle pour la recherche, avant d’engager des décisions irréversibles. Néanmoins, en commençant au plus tôt le stockage géologique, on évite de juste attendre, passifs, pendant tout ce temps : on donne le choix aux générations futures de sceller le stockage géologique, ou de revenir dessus.
Si on se contente d’attendre mieux, sans rien faire, on ne leur laisse aucun choix. Et puis, combien de temps faudrait-il attendre ? Deux siècles ? Mille ans ? Il y a un jour où vous envisageriez de trancher, ou l’on érige la procrastination comme maître mot ?
En résumé, après avoir défendu une option irréaliste par définition, vous terminez en proposant d’attendre passivement, sans prévoir de gestion à long terme des déchets nucléaires.
C’est une opinion approximative comme pourrait en avoir n’importe qui n’ayant pas particulièrement creusé le sujet, à commencer par la documentation mise à disposition par la CNDP. Et de la part de la rapporteure du PNGMDR je trouve que ça craint.
Une version TLDR des essentiels à retenir :
Le stockage c’est définitif, l’entreposage c’est temporaire
Pour les déchets de moyenne et haute activité à vie longue (MHAVL), l’entreposage c’est ce qu’on fait depuis toujours
Il n’est pas envisagé de faire de l’entreposage à renouveler éternellement (générations futures, tout ça)
La séparation-transmutation n’est pas une alternative au stockage en l’état actuel des connaissances
On ne peut pas attendre éternellement en espérant un changement positif des connaissances, un jour
Malgré tout, on n’engage aucune action définitive avant 100 ans
Le stockage est donc la seule voie de gestion à long terme des MHAVL qui ne repose pas sur les géné. futures
Le stockage n’est possible qu’en couches géologiques profondes
Celles-ci font 140 morts et causent, en France mais aussi en Suisse, pour près de 20 milliards de dollars de dégâts. Mais, surtout, elles provoquent une réaction en chaîne qui aurait pu reléguer la catastrophe écologique de l'Erika au rang d'anecdote :
Notez toutefois que les sources sur les morts et l’estimation des dégâts sont discutées ;-).
Malmenée par la tempête, privée d’électricité, noyée sous les eaux, la centrale nucléaire du Blayais, aux portes de Bordeaux, passa à un doigt de l’accident nucléaire majeur… Je serais pas mal chez Envoyé Spécial, hein ?
Aujourd’hui, on va parler de l’incident nucléaire du Blayais de fin 1999, dont on dit souvent qu’il est le jour où la France a « frôlé » la catastrophe nucléaire.
Et vous vous doutez bien que quand je dis « on dit », c’est pas moi qui le dit, hein…
Bon, le sujet est extrêmement vaste, alors pour éviter de rédiger le script d’un documentaire, j’ai du alléger. Du coup, je vais faire complètement abstraction de l’aspect « communication » autour de cet événement – pourtant un gros morceau, peut-être une autre fois. Je vais également être très léger sur les causes de l’accident, et survoler le sujet des évolutions qu’il a apportées. Là encore, on pourra en parler une autre fois…
Classification de l’événement
Le premier objectif de cet article va être de présenter la chronologie des événements et amener à discuter de si, oui ou non, on a frôlé la catastrophe. À quel point on s’en est rapproché. Autant spoiler un peu la fin sans suspense : dans le pire des cas, on s’est plus ou moins rapproché d’un scénario type TMI, avec fusion du coeur mais ampleur limitée. Pas d’un Fukushima-Daiichi, et encore moins d’un Tchernobyl.
D’ailleurs, l’incident
est classé niveau 2 sur l’échelle internationale. Si je prends les définitions
de l’ASN, cela correspond à « défaillances importantes des dispositions en
matière de sûreté, sans conséquences réelles ». Le niveau 3, c’est «
accident évité de peu dans une centrale avec défaillance de toutes les
dispositions en matière de sûreté ». Donc le classement à lui seul réfute
l’affirmation selon laquelle on aurait frôlé l’accident…
Mes principales sources
pour ce thread auront été le rapport de l’IPSN (ancêtre de l’IRSN) sur
l’inondation, publié le 17 janvier 2000, et un rapport de l’OPECST diffusé le 2
avril 2000.
Présentation de la centrale
La centrale du Blayais,
c’est une centrale de 4 réacteurs à eau pressurisée de 910 MW de puissance
électrique (nette) chacun. Les tranches 1 et 2 ont été mises en chantier en
janvier 1977, et les tranches 3 et 4 en avril 1978. Quant aux divergences et mises en service
commercial des quatre tranches, elles se sont échelonnées entre mi-81 et fin 83
; les réacteurs avaient tous près de 20 ans lors des événements.
La centrale est localisée sur l’estuaire de la Gironde, dans un marais,
et refroidie par le fleuve, sans tour aéroréfrigérante (oui, ça casse l’image
traditionnelle des centrales nucléaires ^^)
Très tôt, EDF et les autorités s’étaient rendu compte que la centrale avait été construite trop bas par rapport aux niveaux maximum de l’eau en cas de grande marée ou de tempête. Celle-ci était donc cerclée d’une digue pour la protéger des eaux, côté estuaire et marais.
À la fin des années 90, un changement dans les méthodes de calcul de la cote maximale possible pour les eaux a révélé que la digue était encore 50 cm trop basse. Il a alors été prévu de la rehausser en 2000, puis la date a été repoussée à 2002. Cependant, les éléments n’attendirent pas.
Chronologie de l’incident
Toutefois, avant de parler inondation par-dessus la digue, on va reprendre à zéro toute la séquence d’événements qu’a traversée la centrale cette nuit là. On va reprendre l’incident réacteur par réacteur, dans l’ordre de complexité croissante des événements. En commençant donc par les réacteurs 3 et 4, relativement épargnés, puis le 2, plus sévèrement touché, et enfin le réacteur 1, qui a été le plus malmené.
Réacteur 3
Pour commencer, le
réacteur 3, donc. À l’État Initial (EI) ce réacteur était en maintenance. Donc
arrêté depuis un bon moment, circuit primaire à basse pression, basse
température : on parle d’« Arrêt Normal » (AN). Il était par ailleurs
refroidi par le circuit de Refroidissement Réacteur à l’Arrêt (RRA). Donc un
état sûr facile à maintenir : une faible puissance résiduelle à dissiper, et
c’est tout.
Le 27 décembre à 18h30, tout le site perd son alimentation électrique externe auxiliaire, en 225 kV. Mais l’alimentation électrique principale, en 400 kV, est toujours en service, donc pas de problème.
Et pour le réacteur 3, on reste dans le même état jusqu’à la récupération de l’alimentation auxiliaire, le lendemain matin.
Réacteur 4
Le réacteur 4, à l’EI (État initial), il était en fonctionnement normal, à 100% de sa puissance nominale (PN).
Et de 18h30 jusqu’au lendemain, il a aussi subi la perte d’alimentation auxiliaire.
Par contre, en plus de ça, il a aussi perdu, à 20h50, l’alimentation extérieure principale ! Ce qui veut dire que le réacteur, et notamment les pompes du circuit primaire et secondaire, n’étaient plus alimentés en électricité.
À ce moment, le réacteur (profitant de l’inertie des pompes primaires et du circuit secondaire) a tenté un îlotage : réduire drastiquement sa puissance, sans s’arrêter, pour s’auto-alimenter et continuer de fonctionner, isolé du réseau. Comme sur une île, d’où le terme. L’îlotage, c’est une manoeuvre difficile, qui a échoué : un paramètre du réacteur a dû franchir un seuil de sûreté, ce qui a déclenché l’Arrêt Automatique du Réacteur (AAR) par la chute de toutes les barres d’absorbants neutroniques dans le coeur.
Plus de courant, ce sont donc les groupes diesel qui ont démarré et pris en charge l’alimentation des systèmes du réacteur pour continuer à assurer le refroidissement, et notamment l’évacuation de la puissance résiduelle, élevée dans les heures qui suivent l’arrêt. Le réacteur était donc en situation qu’on pourrait qualifier d’« arrêt secouru ». Toutefois, l’alimentation externe 400 kV a été récupérée 40 minutes plus tard, et puisqu’elle était stable, à 22h20, ils ont arrêté les diesel. Le réacteur s’est donc retrouvé en situation d’arrêt normal, ses systèmes alimentés par le réseau extérieur.
Ensuite, il y a ambiguïté dans mes sources : elles disent qu’ils ont redémarré le réacteur à 1h20 du matin, pour contribuer à la stabilisation du réseau de la région qui en avait bien besoin (la tempête dévastait alors le réseau de transport et de distribution de l’électricité). Mais, dans la même source, quelques lignes plus loin, il est dit que le réacteur était « prêt à redémarrer ». Donc c’est pas clair… On va supposer qu’il a redémarré à 1h20, comme indiqué.
Réacteur 2
Concernant le réacteur 2 à présent, ça commence comme le réacteur 4 : EI à 100% PN, perte 225 kV, puis perte 400 kV, îlotage raté, AAR, passage en arrêt secouru sur les groupes diesel.
Récupération du 400 kV deux heures après le réacteur 4, et arrêt des diesel pour passer dans un stade d’arrêt normal alimenté par l’extérieur à minuit 20. Pas de redémarrage pour celui-ci, toutefois.
Car vers minuit, les eaux avaient noyé le sous-sol du bâtiment combustible, et notamment les pompes du systèmes Réacteur – Injection de Sécurité à Basse Pression (RISBP), et celles de l’Aspersion de Secours de l’Enceinte (EAS).
Ce sont deux systèmes inutiles en fonctionnement normal, donc le réacteur aurait pu, théoriquement, démarrer sans eux. Mais ce sont des systèmes capitaux dans la gestion des accidents de type brèche sur le circuit primaire. Donc aussi improbable soit la survenue d’un accident (type Three Mile Island par exemple) pile à ce moment-là, il n’était pas question de redémarrer sans avoir récupéré ces systèmes là – ce qui prendra plusieurs jours.
Réacteur 1
Enfin, le réacteur 1 : EI à 100% PN, perte 225 kV, mais pas de perte du 400 kV (comme le réacteur 3). Il a pu continuer à fonctionner normalement jusqu’à minuit 30.
À cette heure là, des débris charriés par les eaux ont bloqué le refroidissement du Groupe Turbo-Alternateur (GTA), autrement dit, la turbine, le condenseur, l’alternateur… Bref, la partie « production électrique » de la centrale. Résultat : AAR.
Mais les systèmes restent alimentés par le réseau 400 kV, donc pas de problème, pas besoin de démarrer les groupes diesel, le réacteur reste en sûreté. Vers 2h, ils constatent que dans ce réacteur aussi, l’inondation du bâtiment combustible a noyé les pompes RISBP et EAS.
Et vers 7h du matin, deux pompes SEC sont également noyées. Le circuit SEC, c’est un peu particulier à expliquer : dans une tranche nucléaire, le circuit primaire, secondaire, etc., vous connaissez. Vous savez comment on refroidit le coeur.
Par contre, tout ceci dépend de tas d’organes, notamment de pompes, de vannes, etc. qui doivent aussi être refoidis, parce que leurs moteurs chauffent. Ce refroidissement est assuré par le circuit Réacteur – Refroidissement Intermédiaire (RRI). Celui-ci est un peu l’équivalent du secondaire, mais pour les petits composants : il est en circuit fermé et est physiquement séparé de l’eau primaire, donc il n’est pas censé être contaminé, sauf accident. Et ce circuit RRI, il faut aussi le refroidir, et c’est là le rôle du circuit d’eau brute SECourue (SEC, me demandez pas la logique de l’acronyme). Ce circuit SEC est l’équivalent du tertiaire : c’est un circuit ouvert, qui rejette ses eaux dans l’estuaire.
Pour chaque tranche, pour des raisons de redondance, le SEC est composé d’une voie A et d’une voie B indépendantes, et sur chaque voie, on a deux pompes SEC, chacune suffisant à fournir tout le débit nécessaire.
Il y a donc 4 pompes SEC par réacteur, et on en a perdu deux sur le réacteur 1 à ce moment.
Puis, dans la matinée, pendant qu’on pompait l’eau jusqu’en début d’après-midi, on récupérait l’alimentation 225 kV. Ensuite, ce furent des opérations de pompage et réparation pendant plusieurs jours jusqu’à avoir récupéré tous les circuits.
À quel point a-t-on frôlé l’accident ?
Voilà donc pour la chronologie des événements au cœur de l’incident. Maintenant, la grande question : à quel point est-on passé près de l’accident, l’accident grave, majeur, la catastrophe, l’éradication du quart Sud-Ouest de la France ?
La perte d’alimentation électrique
D’abord, on pense au risque de perte totale d’alimentation électrique. Ben oui, de nos jours, on est formatés, moi le premier, par ce qui s’est passé à Fukushima. Mais concernant les tranches 1 et 3, on n’a même pas perdu les alimentations extérieures, pour la tranche 4 on ne les a même pas perdues deux heures, et pour la tranche 2, on les a perdues 3h30.
Cela veut dire que même si l’on avait aussi eu une perte des deux groupes diesel sur la tranche 2 ou la tranche 4, que l’on n’avait pas pu mettre en service de source d’ultime secours, ni trouvé un moyen pour s’alimenter sur le réseau 400 kV via une autre tranche, on aurait probablement pas eu d’accident sérieux parce que les réacteurs sont pensés pour survivre quelques heures sans électricité tout de même (thermosiphon, et ceatera, j’en ai déjà parlé dans un autre article).
Mais ces questions ne se posent pas puisque les diesel ont assuré leur rôle, en fait. Donc la perte électrique n’est pas le point qui mérite notre attention.
Défaillance des systèmes RISBP/EAS
On va plutôt regarder les défaillances des différents systèmes noyés par les inondations… Les événements encadrés en violet sur la frise chronologique.
À commencer par le noyage des pompes RISBP/EAS, parce que j’en ai déjà parlé. À ce moment, on a perdu des dispositifs importants pour gérer un accident grave, lui-même rendu improbable, de base, par conception, et ce à l’échelle de la vie de la centrale. À fortiori, il était encore plus improbable qu’un tel événement ait lieu pile à ce moment là, sur cette plage de quelques heures. Si je transpose ça dans une démarche de défense en profondeur, c’est comme si on avait perdu les niveaux 1 et 4, mais que 2 et 3 avaient tenu.
De manière plus imagée, sur le siège d’un château médiéval, les armées ont réussi à prendre notre territoire et arriver jusqu’à notre château (perte de la première défense). Et que des espions avaient réussi à incendier le donjon (perte de la quatrième défense). Sans pour autant que les remparts n’aient été détruits/pris, ni même que les forces défensives n’aient été mises en danger (niveaux de défense 2 et 3). L’image vous parle ? Ainsi, la perte du donjon n’est pas un problème dans la mesure où on l’a ensuite vite reconstruit.
Bref, ça serait excessif de dire qu’on a manqué perdre le château, vous en conviendrez ^^
Quant à la perte du refroidissement du groupe turbo-alternateur, ça empêche la centrale de produire du courant, mais en termes de sûreté, ça n’a aucune conséquence.
Il ne nous reste plus qu’une chose à regarder : la perte des pompes SEC.
Perte du SEC/ASG
Ça paraît rien, le circuit de refroidissement du circuit de refroidissement des organes hors coeur.
Mais finalement, sans SEC, à terme, on peut perdre le RRI. Et peu à peu perdre des tas de systèmes, comme celui qui assure l’étanchéité des pompes du circuit primaire, puis les pompes primaires elles-mêmes.
On peut aussi se retrouver à perdre le système de secours du circuit secondaire, celui qui alimente en eau les générateurs de vapeur pour qu’ils puissent continuer à refroidir le circuit primaire, qui lui-même refroidit le coeur.
Le circuit SEC, finalement, indirectement, par cascade de dépendances, il a de grosses implications en termes de sûreté. Ce qui explique la redondance dans la construction (deux voies indépendantes) ET dans les organes de pompage (deux pompes par voie). Il offre toutefois une grosse inertie très permissive, parce que sa perte va progressivement induire, successivement, d’autres défaillances, puis d’autres, jusqu’à la perte de refroidissement du coeur.
Ça veut dire que sur ce réacteur 1, en perdant deux pompes, on a franchi 50% du chemin… Pas vers l’accident, non. Mais vers le début d’une séquence qui peut conduire à l’accident si elle avance sans qu’on n’y apporte de solution.
À noter que la perte totale du circuit SEC, ce n’est pas un imprévu. C’est équivalent à une perte totale de la source froide, ce qui n’est qu’une sous-catégorie de l’accident de perte totale des alimentations électriques. C’est donc largement pris en compte dans les démonstrations de sûreté et les procédures. Bref, on a ouvert une porte sur un chemin qui pouvait mener à l’accident… Mais on n’a clairement pas « frôlé » ce dernier.
Je reviens d’ailleurs sur l’alimentation en eau des générateurs de vapeur. Le circuit ASG (Alimentation de Secours de Générateurs de vapeur), il repose sur 3 pompes. Deux motopompes, alimentées à l’électricité par les alimentations externes ou, en situation dégradée, par les diesels. Et une turbopompe, mise en rotation par la vapeur qui sort des générateurs, qu’il y ait ou non du courant. Et il suffit d’une seule de ces pompes pour fournir le débit permettant le refroidissement du coeur.
Et l’IPSN nous dit deux choses au sujet des circuits ASG :
1) Ils n’ont pas montré de signe de défaillance
2) En cas de défaillance cumulée des trois pompes, on avait au moins dix heures pour y remédier avant de risquer la fusion du coeur. Un scénario hautement improbable qui laisse finalement de la marge.
Et indirectement, on peut en conclure que si on avait perdu non pas deux mais les quatre pompes SEC, et donc qu’on avait perdu le refroidissement du circuit RRI, et qu‘on avait épuisé l’inertie thermique dont il dispose (en circulant dans un énorme réservoir d’eau), puis qu‘on avait eu la surchauffe des trois pompes au point de les arrêter… Là encore, on avait 10 heures supplémentaires pour remédier à la situation.
Concluons ?
Ce que j’en conclus, c’est qu’on a approché l’accident par deux directions.
La défaillance du circuit ASG. Mais pour avoir accident, il aurait fallu une triple défaillance mécanique d’équipements redondants et 10h sans action de remédiation.
La destruction, par manque de refroidissement, du circuit ASG. Mais là, il aurait fallu perdre 2 pompes de plus sur le circuit ASG (par défaillance ou par noyage), puis épuiser l’inertie thermique, puis surchauffer l’ASG… Et on aurait encore eu les 10h.
Bref : dans un cas comme dans l’autre, on était carrément loin de l’accident majeur. Assez déconné avec ça. J’irai même surenchérir… En 1999, 11 ans avant Fukushima, on a subi une inondation à cause d’une digue trop basse sur fond de pertes d’alimentations électriques extérieures. Et on a montré qu’on savait gérer, sans accident. Par-dessus ça, on a tiré le maximum de retour d’expérience possible pour que ça ne se produise plus, au Blayais ni ailleurs.
Finalement, avant Fukushima, on était déjà en avance en matière de sûreté (et on l’est encore plus depuis Fukushima et tout le retour d’expérience supplémentaire qu’on en a tiré). L’incident du Blayais de 1999, c’est une situation extrême où plusieurs systèmes de secours ont été mis à mal, des erreurs de conception ont été payées, et la sûreté a effectivement été dégradée. Des choses n’ont pas bien tourné, notamment dans l’organisation et la communication entre les acteurs et envers le public, et j’en parlerai peut-être un jour. Là-encore, on a tiré les leçons qu’il fallait. Néanmoins, la défense en profondeur a pleinement joué son rôle. Il n’y a eu aucune conséquence regrettable, ni matérielle, ni environnementale, ni sanitaire. Personnellement, j’y vois donc un exemple de succès pour l’organisation de la sûreté. Pas un quasi-échec.
Et pour finir sur une note un peu sombre : je pense que cet acharnement des antinucléaires à faire passer cet incident pour une catastrophe évitée de justesse, ça traduit un regret. Je pense qu’ils regrettent de ne pas avoir eu l’accident dont ils ont besoin pour leur propagande. Ils n’ont pas eu cette catastrophe opportune, alors ils cherchent à faire peur en faisant croire qu’on était à un doigt de cette catastrophe. Ne laissons pas faire, et rappelons les faits, à chaque fois que cela sera nécessaire.
N’oubliez pas que la peur des radiations est capable de tuer… Plus efficacement que les radiations.
Incanter « Tchernobyl ! Fukushima ! » ne constitue pas un argument. Ni un argument contre les technologies électronucléaires en général, ni contre l’emploi de l’énergie nucléaire en France, aujourd’hui et demain. Ce n’est pas non plus un argument contre l’électronucléaire en général car des accidents isolés, à une échelle mondiale et sur plusieurs décennies, n’ont jamais enterré une quelconque filière industrielle.
Aucune catastrophe aérienne (y compris l’usage militaire de l’aviation) n’a incité à sortir de l’aéronautique, nul accident relatif au gaz, au pétrole, au charbon (notamment dans les mines) n’a jamais ralenti l’exploitation de ces ressources. Sans parler de l’industrie chimique !
Pis encore, à ceux qui s’exclament « Tchernobyl, Fukushima », je vous invite à répondre « Banqiao, Morvi » ! Ces noms que la mémoire collective a oublié sont pourtant ceux de deux catastrophes ayant touché des centrales électriques. Oubliés, pourtant, ces deux catastrophes sont en mesure de reléguer les conséquences sanitaires des accidents de Tchernobyl et Fukushima au rang d’incidents mineurs!
Banqiao est probablement la pire catastrophe industrielle de l’Histoire. En 1975, sous les assauts d’un typhon, en Chine, le barrage de Banqiao, sur le Ru, a cédé. La vague qui en a résulté à conduit à la destruction, volontaire ou non, de 61 autres ouvrages.
Wikipédia nous indique 26 000 morts directs, et 145 000 autres dans les épidémies et la famine qui suivirent ; ainsi que 11 MILLIONS d’autres personnes touchées d’une manière ou d’une autre. À côté, Tchernobyl, c’est quelques dizaines de morts directs, jusqu’à quelques milliers (évaluations très majorantes, cf. OMS/AIEA/UNSCEAR) indirectement, et quelques millions de personnes touchées (évacuées, vivant en zone fortement contaminée, etc.).
Quant à Morvi, c’est un autre barrage qui a rompu, en Inde, en 1979 (quatre mois après l’accident nucléaire de Three Mile Island, pourtant la mémoire collective a traité les deux accidents très inégalement…). Ce coup-ci, on parle de 2000 à 15000 victimes. Comparons cette fois à Fukushima, et ses zéro victimes directes, et une fourchette haute à 2000 pour les victimes indirectes (quasi-exclusivement des victimes de l’évacuation, et non pas de la radioactivité).
Et nul de ces accidents n’a conduit à remettre en cause ni l’hydroélectricité, ni les barrages. On a remis en cause des choix de conception, des règles d’exploitation, des modes de gestion de crise, bref, on a « profité » si j’ose dire du retour d’expérience pour réduire à l’avenir le risque d’occurrence de tels événements et, éventuellement, mieux les gérer. Bref : du bon sens comme on en applique dans tous les domaines ! Y compris, en règle générale, dans le nucléaire.
On n’a jamais parlé de « sortir de l’hydraulique » au nom de Banqiao ou de Morvi. Ni mêmes des Trois Gorges (pas d’accident, mais des millions de déplacés définitifs pour pouvoir le construire). On n’a jamais parlé de sortir de la chimie au nom de Bhopal, ni décidé d’évacuer toutes les régions littorales du monde occidental suite au tsunami de 2004 en Asie du Sud-Est.
Donc, pour les mêmes raisons, « Fukushima et Tchernobyl » n’est pas un argument contre l’électronucléaire, mais pour son amélioration continue.
Ainsi, la prochaine fois que l’on vous avance « Fukushima, Tchernobyl ! » en guise de seul argument… Expliquez à votre interlocuteur qu’en appliquant ce même raisonnement, vous pouvez tout à fait vous exclamer « Banqiao, Morvi ! ».
Et à vous deux, par ce raisonnement simpliste, vous rejetez 75% de l’énergie bas-carbone mondiale (en comptant la biomasse dedans, sinon ça serait probablement plus de 90%). Démonstration par l’absurde d’un raisonnement… Pourri, disons-le clairement.
Maintenant, si l’on se concentre sur le cas français… Et l’analogie avec Tchernobyl, pour commencer. Ou pas, en fait, il n’y a pas d’analogie qui tienne, et qu’on se le dise une bonne fois pour toutes : les RBMK, comme ceux de Tchernobyl, à l’époque, niveau sûreté, c’était des réacteurs de merde. Alors oui, en termes de performance économique (construction, exploitation) et industrielle (puissance, fiabilité), c’était peut-être la folie. Mais ça reste des réacteurs inflammables, sans enceinte de confinement, dotés de dispositifs de sûreté lents, désactivables…
Et, surtout, offrant une plage de fonctionnement dans laquelle ils étaient instables : une hausse de la température provoque une hausse de la puissance, donc de la température, donc de la puissance… Ce qui n’existe pas dans les réacteurs à eau, par leur conception même ! Dans nos réacteurs, une hausse de la température augmente le nombre de neutrons qui sont capturés par l’uranium 238 (non fissile) et par l’eau, et donc étouffe la réaction en chaîne ce qui fait baisser la puissance, donc la température.
Bref, le réacteur se stabilise tout seul, par physique (pas par des automatismes), en permanence.
Outre la misère dans la conception de Tchernobyl, il était mal exploité par des gens mal formés, et une fois l’accident survenu, la gestion de crise a été catastrophique avec un déni des autorités et une évacuation très tardive. Rien n’allait, de bout en bout. Et rien n’était similaire au parc nucléaire français.
Dehors, donc, l’invocation de « Tchernobyyyyyl » pour parler du nucléaire en France. Reste peut-être Fukushima ? Et bien… Pas vraiment non plus.
D’une part, parce que ce sont encore des réacteurs de conception assez différente de celle des nôtres, mais certes plus proches de nos centrales que ne l’était Tchernobyl.
D’autre part, parce que les conditions ne sont pas les mêmes : le risque environnemental sur le littoral Pacifique japonais est sans commune mesure avec ce que l’on a en France ! Enfin ? Qui peut décemment établir que parce que des réacteurs ont pris un séisme de magnitude exceptionnelle (même pour le Japon), qu’ils ont fort bien encaissé d’ailleurs, et un tsunami historique, la France est en danger ?
En plus de cela, l’organisation de la sûreté nucléaire nippone avant Fukushima tranche avec l’image de rigueur que l’on a des japonais… L’autorité avait peu de pouvoir sur les industriels, tout en étant rattaché à un ministère dont le rôle était de promouvoir le nuc.
Bravo l’indépendance… C’est un peu comme si on demandait à l’ADEME son avis sur les énergies renouvelables, qu’elle a pour mission officielle de promouvoir. Mais là, on parle de sûreté nuc’, donc des enjeux bien plus grands.
Nonobstant tout cela, en imaginant que le cas Fukushima soit en tout point transposable à la France… Sa gravité est-elle suffisante pour exiger l’abandon total de l’énergie nucléaire, malgré les conséquences que cela aurait ? Vraisemblablement pas, mais je vous renvoie du coup aux réflexions en première partie de ce thread. D’ailleurs, avec une trentaine ou une quarantaine de réacteurs à redémarrer, le programme nucléaire japonais se retrouve à être un des plus ambitieux au monde. D’ailleurs, petit retour sur Tchernobyl : l’Ukraine ambitionne aujourd’hui de monter à 60% la part du nucléaire dans son mix électrique. Ce qui la hisserait au deuxième rang mondial, juste derrière nous ! Parce que, même pour les plus concernés, la raison conduit à pondérer la peur de l’accident nucléaire devant les risques d’une pénurie de gaz et d’électricité en plein hiver. Toutefois, ce ne sont plus des réacteurs à graphite qu’ils construisent, à présent.
Finalement, même si Tchernobyl et surtout Fukushima ont apporté énormément de retour d’expérience applicable à notre parc actuel et futur, l’accident de référence pour nous serait celui de Three Mile Island, qui aurait tout à fait pu se produire sur nos réacteurs à l’époque.
Mais bon, c’est bien moins vendeur. Comme Banqiao et Morvi, d’ailleurs, quasiment oubliés malgré l’ampleur des drames. J’ai coutume de dire que la gravité d’une catastrophe est jugée selon le nombre de caméras, pas de victimes…
Production attendue : 2MW*0,23*25 ans*8766 h/an = 0,1 TWh/an. Donc 11 000 tonnes de béton par TWh et 1 400 tonnes d’acier par TWh.
L’EPR consomme donc 8 fois moins de béton et 20 fois moins d’acier que l’éolien.
Si je prends l’étude, un peu plus soigneuse, du Department of Energy sur le sujet, ils donnent 800 t/TWh de béton et 160 t/TWh d’acier pour le nucléaire, et 8000 t/TWh de béton et 1800 t/TWh d’acier pour l’éolien.
On a là un facteur 10 pour le béton et 11 pour l’acier, donc toujours à l’avantage, très marqué, du nucléaire.
Les énergies renouvelables n’ont de renouvelable que leur énergie primaire : les moyens de production sont, eux, terriblement gourmands en ressources naturelles.
En d’autres termes : l’électricité renouvelable n’existe pas. Il n’y a que des moyens de production plus ou moins durables… Et le nucléaire fait partie des plus durables.
Un réacteur nucléaire, ce n'est pas un bien de consommation. Ce n'est pas, du point de vue de l'exploitant, un truc pour rendre service comme un téléphone ou un lave-linge, mais une machine à cash.
Tu investis énormément dedans, et elle te sort un débit régulier de cash.
L’un des principaux aspects à considérer, pour tout outil industriel, est économique. Le réacteur rapporte de la thune, et le maintenir en service en coûte. Donc il arrive un moment où les deux flux peuvent se croiser. Autrement dit,
La durée de vie dans un projet de construction est la durée au bout de laquelle il faut réinjecter un coût similaire au coût de construction pour garder un niveau de service équivalent. Les ponts, par ex., ont une durée de vie de 100ans. (50 ans pour les bâtiment).
Mais voilà. Dans un réacteur nucléaire, la maintenance a ses limites. On peut remplacer la plupart des composants, chaque pompe, chaque vanne, même les immenses générateurs de vapeur, mais…
Il faut que je précise un truc : on peut quasiment tout remplacer dans une centrale, (GV, tuyauterie, couvercle de la cuve…) mais pas la cuve. C’est donc la cuve qui limite la durée de vie de la centrale ^^.
La cuve, ce n’est pas un composant très complexe. Ça n’est pas un organe mobile comme une pompe ou une vanne, donc c’est très robuste. Mais une cuve, c’est au plus près du cœur, où a lieu la réaction en chaîne !
Ce n’est pas une histoire d’usure de la cuve, élément irremplaçable ?
Et sous l’effet du flux de neutron qui s’échappe du cœur, les propriétés de l’acier de la cuve se dégradent, au fil du temps – ou plutôt, au fil du nombre de neutrons reçus. Donc c’est le nombre d’heures de fonctionnement du cœur qui va jouer, et la puissance de celui-ci, au premier ordre, plus que l’âge.
Et combien de temps, du coup, avant que la cuve ne soit trop endommagée ? 10 ans ? 40 ans ? 60 ans ? Pourquoi les antinucléaires, les politiciens, les journalistes, disent toujours 40 ans ? Et bien… La réponse est toute simple :
On connait le vieillissement de la cuve jusqu’à 40 ans et pas au delà ?
en oui. En France, nos plus vieilles cuves ont environ 40 ans. Donc on sait, par une expérience échelle 1, comment évoluent les cuves jusqu’à 40 ans. Au-delà, on ne peut qu’estimer. Donc les antis considèrent que 40 ans c’est le max.
Et il y a quelques années, ils disaient 30. Et dans quelques années, ils diront 50. C’est simple, hein ! Mais il y a une autre raison pour laquelle le nombre de 40 ans revient plus souvent : l’âge de l’émancipation.
Parce qu’à cause des radiations la centrale devient vivante, évolue et s’en va achever sa mutation en éolienne dans un champ.
Plus sérieusement : 40 ans, c’est une limite légale… Aux USA. Pays concepteur de nos réacteurs.
Parce que les licences américaines sont fixées à 40 ans pour des raisons « économiques antitrust » et non pour cause de vétusté. Ces licences sont renouvelables. 89 des 98 réacteurs américains le sont déjà, 2 étudient une 2ème prolongation (à 80 ans).
Pas en France, hein ! En France, on n’a pas délivré de « licence d’exploitation » pour une durée donnée. Les installations nucléaires n’ont pas de durée de vie légale au nom de la sûreté. Mais y’a une contrepartie :
Je crois qu’il n’y a pas de durée de vie des centrales définie par la loi, mais plutôt des inspections obligatoires durant le cycle de vie.
Tous les 10 ans, les installations nucléaires sont soumises à l’obligation de procéder à un réexamen de sûreté, ou visite décennale. Une inspection exploitant+ASN ultra poussée de chaque composant de l’installation nucléaire, pour vérifier que le référentiel de sûreté initial de l’installation soit toujours respecté, et, mieux encore, qu’il est au niveau des dernières exigences réglementaires en vigueur. Le standard de sûreté d’une installation nuc aux USA, c’est celui de sa mise en service, lorsqu’est délivrée sa licence.
En France, le standard de sûreté, c’est celui de la décennie en cours. C’est particulièrement positif en termes de sûreté ! Et du coup, la raison pour laquelle on dit que la durée de vie est limitée à 40 ans :
C’est juste que le réexamen périodique a lieu tous les 10 ans et que les plus vieux 900 MW atteignent cet âge, non ?
Et oui. Les réacteurs sont autorisés à fonctionner 10 ans de plus, tous les 10 ans. Donc quand les plus vieux approchent 40 ans, leur limite, à ce moment, est de 40 ans. Logique.
Mais y’a aucune raison de considérer à priori qu’on ne peut pas renouveler une quatrième fois, comme les 3 d’avant. C’est juste un jalon, pas un plafond.
Un thread sur les actualités du système électrique, en Mars : fin d’hiver, consommation encore élevée au moindre frimas, en chute libre au moindre rayon de soleil ; parc nucléaire qui baisse en charge, réservoirs des barrages bien épuisés, bref : des conditions contraignantes favorables à des comportements exotiques du système électrique français.
Ce matin, comme tous les lundi matin, j'ai mis à jour mon suivi de la disponibilité du parc nucléaire français. Toujours la même histoire : je compte, chaque jour, le nombre de réacteurs qui ont produit à 50% ou plus de leur capacité, en moyenne sur la journée. pic.twitter.com/OKBzqVNXQG
Là, y’avait un truc qui n’allait pas. De 50 réacteurs environ depuis plusieurs semaines, on était à 40 dimanche. Et après vérification des données à la recherche d’un artefact… Nan, pas de doute. Il s’était manifestement passé quelque chose sur le réseau.
Vérification de la consommation : elle était très basse ce dimanche, même pour un dimanche (ci-dessous, la consommation depuis le 1er Février).
Juste pour « rire », la comparaison des fin février/début mars 2018 et 2019. Les deux graphes sont à la même échelle. 15 GW d’écart, vague de froid VS vague de chaleur :
Bon, du coup, consommation faible, et, le parc nucléaire…
Cette chute de production ! 10 GW qui se sont perdus dans la nuit de samedi à dimanche – ça colle aux 10 réacteurs que j’ai perdus sur mon premier graphique.
Ce qui a conduit à cette situation assez extrême, c’est qu’en plus d’une consommation basse, mais pas exceptionnelle non plus… On a le vent qui s’est déchaîné. Et la production éolienne avec. Un dimanche.
Production éolienne énorme, consommation minimale. Or, on rappelle, en France, les éoliennes, les panneaux solaires et les centrales hydroélectriques en écluses et au fil de l’eau ont la priorité sur le réseau.
Conséquence : les stations de pompage pompent tout ce qu’elles peuvent, et une fois l’hydraulique et le gaz au plus bas, il ne reste que le nucléaire à étouffer. Et l’hydraulique et le gaz étaient effectivement au plus bas.
Pour l’hydraulique, STEP à 0 (forcément, on pompe !), lacs à quasiment rien (sans doute le minimum pour les étiages des avals), et même l’hydraulique au fil de l’eau était minimisée.
Pour le gaz, on a juste gardé les centrales à cogénération, parce qu’il faut bien chauffer ceux qui en dépendent (ça, et des obligations contractuelles).
Et évidemment, en telle situation de surcapacité, les prix de marché ont une drôle d’allure. Alors que la moyenne est autour de 40 €/MWh, la France, la Suisse et la Belgique ont du se contenter de prix autour de 10-20 €/MWh. Quant à l’Allemagne, l’Autriche et le Luxembourg, ils sont tombés autour de 0, avec des moments de prix négatifs (ils payent pour qu’on les soulage de leur surproduction).
D’ailleurs, EDF ne s’est pas privé d’importer l’électricité au travers de ses frontières Nord-Est, à prix nuls ou négatifs, pour les réexporter à des prix plus significatifs à ses autres frontières ^^.
Si on fait un détour par l’Allemagne, ça n’est pas la joie. Le système électrique s’est fait écraser par la production éolienne, au point de devoir diminuer même la production de leurs centrales nucléaires, pourtant pas faites pour faire du suivi de charge.
Revenons en France. Le dimanche a (hélas) fini par s’achever et l’activité a repris lundi, et la consommation électrique avec. Pas à un niveau très élevé, mais vu que l’on partait de très bas, ça faisait une belle rampe, comme tous les lundi matin.
L’éolien a eu la décence de ne pas s’effacer à ce moment là, et l’hydraulique a fait son habituel retour, en réouvrant les vannes des barrages et ses STEP.
Mais alors le nucléaire… Cette remontée en puissance !
J’ai déjà parlé du suivi de charge que permettait le nucléaire français. Mais là, à ceux qui disent que le nucléaire n’est pas flexible, on peut à présent répondre sans explication, rien qu’avec cette image. 10 GW d’amplitude, avec des variations franchement rapides !
Là je pars un peu loin : j’ai tracé les dérivées de quelques courbes. Autrement dit, la variation de la puissance délivrée (ou consommée), une évaluation de la raideur des pentes de production. L’éolien, plutôt sage, n’a pas dépassé les 30 MW/min de variation à la hausse ou à la baisse. Et c’était largement à la portée du nucléaire, qui a affiché de nombreuses variations de 50 à plus de 100 MW/min à la hausse !
Par contre, la consommation ne s’est pas privée d’aller chercher + de 150 MW/min. Donc la flexibilité du nucléaire est un peu limite pour suivre la consommation ; on le savait et c’est tout l’intérêt de l’hydraulique et, dans une moindre mesure, du gaz. Le nucléaire a vraiment montré ici sa capacité à s’adapter aux variations de l’éolien. Je n’en vois toujours pas l’intérêt, rien n’a changé de ce côté là. Mais le nucléaire est compatible, techniquement (économiquement c’est une autre affaire), avec l’éolien.
Donc qu’on n’aille plus vous dire que le nucléaire n’est pas flexible, ou qu’il bloque le développement des EnR… C’est mensonger 😉
Pour terminer, le détail, tranche nucléaire par tranche, du suivi de charge réalisé par le nucléaire. Je compte 8 tranches qui se sont totalement arrêtées, et au moins 5 qui ont fait d’importantes variations assez longues. Pour terminer, le détail, tranche nucléaire par tranche, du suivi de charge réalisé par le nucléaire.
Face à de telles échelles de temps, aucune solution de confinement ne peut garantir une absence de contamination à long terme. C’est le principal argument des opposants au projet Cigéo.
Rah, je suis désolé, mais là, va falloir jouer sur les mots… Ça veut dire quoi, garantir ? Aucune définition ne m’éclaire : est-ce que « garantir » sous-entend une certitude à 100% ? Si oui, l’argument est fallacieux. Si non, le propos est mensonger.
Si oui, on est dans un biais de recherche de solution parfaite et donc un rejet systématique de toute solution qui ne garantirait pas un risque rigoureusement nul. Or, il est impossible, peu importe ce dont on parle, de démontrer l’inexistence d’un risque. D’où le fallacieux. Peu importe de quoi l’on parle d’ailleurs, même hors nucléaire. Attendrez-vous que les hôpitaux vous « garantissent » un risque nul de contracter une maladie nosocomiale pour y faire soigner un proche ?
Et si l’on suppose que la rédac’ en est consciente ? Si l’on suppose qu’on parle en fait de garantir « avec un risque raisonnable », il est juste faux de prétendre qu’aucune solution ne le propose. C’est le principe du confinement en couche géologique profonde.
Autrement dit, dans cette introduction, on nie l’existence de solutions, pour pouvoir clamer qu’aucune solution n’existe… L’astuce classique sur le sujet des déchets nucléaires. Et ça explique l’opposition radicale des antinucléaires contre le stockage. Plus que le risque du stockage, ce qu’ils craignent, c’est que leur discours perde encore en crédibilité. Difficile de clamer « aucune solution, c’est un danger permanent ! » une fois qu’on aura commencer à descendre des colis dans leur dernière demeure… Continuons.
Plutôt que de se presser d’enterrer ces déchets avec le risque de voir de la radioactivité ressurgir un jour
Deux fautes.
1) « Se presser »… Sérieusement ? On prévoit de descendre quelques colis, les plus anciens, dans la décennie 2030, dans une zone dédiée à ceux-là, un peu à titre d’essai en conditions réelles. Et le vrai remplissage sera pour la deuxième moitié du siècle ! Et le site ne serait scellé que dans les décennies 2120-2130. Donc en fait, on prévoit de prendre une décision irréversible dans 100 ans, pas avant, et on se presse ? Faudrait attendre combien de temps ? 200 ans ? 500 ans ? Et ce sont souvent les mêmes qui vont dire « il ne faut pas léguer aux générations futures la charge de NOS déchets » puis « attendons deux ou trois siècles au moins en gérant les déchets à la surface avant de chercher à les isoler définitivement ». WHAT ?
2) Le risque de voir la radioactivité ressortir… Ça ne veut rien dire. La radioactivité, c’est un phénomène, c’est le terme qui décrit la transformation d’un noyau d’atome en un autre par le biais d’une émission de particule. Et souvent, ça s’accompagne de la désexcitation d’un noyau haut en énergie par le biais de l’émission d’un photon de haute énergie (X ou γ). C’est un phénomène, pas une particule ni de la matière. Ce dont ils croient parler, c’est d’une remontée en surface des atomes radioactifs, ou radionucléides, ou radioéléments. C’est bien de la propagation d’atomes dont on parle.
Et leur remontée en surface, ce n’est pas un risque : c’est leur destin.
Même dans les roches les plus étanches, on sait que le béton, l’acier et le verre vont très, très très lentement se dégrader, se corroder. Et que peu à peu, des radioéléments vont être absorbés dans la roche et les eaux qui l’imprègnent et diffuser dans toutes les directions. Ils vont essentiellement diffuser horizontalement, très peu verticalement, et donc très peu vers la surface. Mais inéluctablement, si on se projette sur des durées extrêmement longues, ils finiront par atteindre la biosphère. Nappes phréatiques, terres cultivées, surface, peu importe. Ils vont finit par atteindre le vivant. Après des durées EXTRÊMEMENT longues. Si longues que les « radioéléments » auront perdu leur « radio » !
En effet, vous savez que la radioactivité décroît avec le temps. Concernant les déchets de haute activité à vie longue, comptez 100 000 ans pour qu’une tonne de déchets redevienne aussi peu radioactive qu’une tonne de minerai d’uranium tout ce qu’il y a de plus naturellement répandu dans le monde.
Donc à long terme, la radioactivité de ces déchets sera noyée dans le bruit de fond de la radioactivité naturelle. Sans impact possible sur le vivant, donc. Ajoutez à cela qu’ils vont énormément se diluer dans la roche. C’est à dire qu’en 100 000 ans, une tonne de déchets sera aussi radioactive qu’une tonne de minerai, mais cette radioactivité sera répartie sur 10 000 tonnes (nombre au pif) de roche.
Et c’est là le principe de Cigéo ! Non, on ne prétend pas à un confinement parfait sur une durée éternelle. Mais un confinement tellement poussé que le temps que les radioéléments quittent ce confinement, ils soient devenus inoffensifs.
Je vous parle du point de vue de la sûreté, qui considère qu’on a besoin de 100 000 ans. Mais quand j’ai visité le laboratoire souterrain (encore merci à l’ANDRA pour ça, et à nos guides sur place), ils parlaient en millions d’années, là-bas ^^.
Au passage, les photos de la visite…
À la mi-décembre, j'ai pu visiter le laboratoire souterrain de @Andra_CMHM, celui là-même où est étudié le stockage géologique des #déchets#nucléaire pour le futur #Cigéo.
Petit #thread pour partager les photos de la journée, rien de plus 🙂
Ça vous paraît invraisemblable, une durée pareille ? Réfléchissez au temps qu’il faut déjà pour infiltrer le béton, corroder un décimètre d’acier et l’infiltrer aussi, corroder quelques centimètres d’inox… Puis corroder du VERRE. Du verre dont la formule est spécialement élaborée pour durer, d’ailleurs. Un petit bijou de chimie. Au nez, comme ça, je pense qu’on a déjà écoulé 10 000 ans avant de réussir à charger l’eau souterraine en radionucléides… Et à ce stade, on n’a pas encore vraiment commencé à mettre à profit le caractère géologique, et les 60 m d’argilite presque imperméable qu’on a au-dessus des déchets, où la vitesse de propagation de l’eau se mesure en cm/millénaire. Et les 300 mètres de roches diverses au-dessus. Bon, ben du coup, avec l’émotion, j’ai énormément dérivé sur Cigéo… On en revient à Altereco ?
Pourquoi ne pas donner davantage de temps […] à la recherche afin de trouver des solutions qui pourraient neutraliser leur dangerosité ?
On lui donne au moins 100 ans supplémentaires, pour le moment. C’est plutôt pas mal, non ? Il faudrait combien ? Faut quand même prendre une décision un jour, non ?
Ensuite, ce bon vieux Bernard Laponche nous rappelle qu’initialement, trois axes étaient à l’étude : stockage géologique, entreposage en (sub)surface, et séparation-transmutation. Sans lire la suite, je le connais, il va dire qu’on a tout écarté arbitrairement au profit du seul stockage géologique en arrêtant toutes les recherches. Évidemment que non.
Il a été décidé, en 2016 je crois, de retenir le stockage géologique comme solution de référence, c’est vrai. Qu’en est-il des deux autres axes ?
La séparation-transmutation, qui consiste à trier les différents radionucléides et leur faire subir des transformations nucléaires pour réduire leur activité et leur demi-vie, le CEA s’est longuement penché dessus. C’est plein d’avantages, ça fait des déchets moins volumineux, moins chauds, qui nécessitent des stockages moins longs… Mais qui en nécessitent toujours. Le CEA a démontré que la séparation-transmutation n’était PAS une alternative au stockage géologique. Un complément indéniablement intéressant, oui, et, d’ailleurs, les études continuent. Mais c’est un procédé coûteux, complexe, et qui, évidemment, présente ses risques intrinsèques. Donc on prévoit de faire sans, et s’il est mature à temps… Tant mieux ! On a un siècle.
Ensuite, l’entreposage en surface ou subsurface (à faible profondeur) : bah… C’est de l’entreposage. C’est tout simplement pas fait pour durer. Ça nécessite soit de la maintenance régulière, soit de reprendre les déchets, tous les 100 ans peut-être pour les entreposer dans un nouveau site. Donc ça lègue la charge de la gestion, des risques, des coûts aux générations futures, pour une durée indéterminée. Ce n’est pas une réponse au cahier des charges communément admis, que je sache.
Et c’est là l’astuce de Laponche, en général : laisser oublier que le but est de ne pas léguer la gestion des déchets aux générations futures. Forcément, si on modifie l’un des points clés du cahier des charges de Cigéo, Cigéo, perd aussitôt en intérêt.
En résumé : aujourd’hui, il n’existe aucune alternative au stockage géologique qui réponde aux mêmes exigences d’éthique (responsabilité vis-à-vis des générations futures) et de sûreté (confinement passif à très long terme).
Nota : viendront un jour un thread et un billet de blog ayant pour but de synthétiser le panorama des alternatives au stockage géologique. Suivez-moi sur Twitter 😉 Spoiler : il n’y en a que deux vraiment sérieuses. L’une est une sorte de variante de stockage géologique, la seconde consiste à entreposer et donc attendre indéfiniment.
Et aucune en perspective. Néanmoins, on s’est lancés sur environ 100 ans avant de prendre une décision irréversible. Considérant que c’était un bon compromis entre « louper toute chance de trouver une alternative » et « attendre une solution inédite éternellement ». Personnellement, ça me choque pas comme choix… Et je connais personne qui le conteste directement. En général, les opposants se contentent de ne pas l’expliquer, et de dénoncer soit l’absence de toute solution durable, soit la précipitation vers la première solution durable qu’on trouve. Parfois ils reprochent les deux. À la fois. Meh.
Du coup, dans le cadre des débats actuels et futurs sur le sujet, si je devais donner un seul conseil… Commencez toujours par exposer les faits, l’état initial, l’objectif. Pour être sûrs de parler de la même chose, et parler en connaissance de cause.
Et éviter de débattre sur la pertinence d’un projet que personne ne porte, d’un propos que personne ne tient, d’une idée que personne ne défend.
D’expérience, en général, concernant Cigéo… Suffit d’expliquer le sujet pour que le débat se termine.
Comme ici. En expliquant les principes de Cigéo, je ne peux plus vraiment contester les propos tenus dans ce début de l’article d’Alter Eco… Puisque ces propos n’ont tout simplement plus lieu d’être ! T_T
En 2017, des rejets SCANDALEUX, de tritium ont eu lieu dans la Seine, en amont de #Paris par la centrale #nucléaire de Nogent. Assez de becquerels pour polluer TROIS CENT MILLIARDS DE LITRES #pollution#scandale#COP21#LaffaireDuSiecle !!!
Et le pire, c’est qu’elle y est AUTORISÉE ! Même par l’ASN ! Et le tritium, ce n’est que la partie émergée de l’iceberg qui fond ! Carbone 14, iode et gaz rares radioactifs, produits de fission et d’activation…
En tout, ce sont CENT QUARANTE MILLE MILLIARDS DE BECQUERELS que la centrale est autorisée à rejeter dans l’environnement. 140 000 000 000 000 de désintégrations PAR SECONDE, juste pour un an !
Bref, cet article, vous l’aurez compris, porte sur les rejets radioactifs des centrales nucléaires (ou autres installations), et la manière dont on en calcule l’impact sur la santé.
Cet article est un complément à un article précédent :
Il a pour but d’expliciter la méthode conduisant aux chiffres présentés dans cet ancien article.
Et pour ceux qui n’auraient pas les idées claires sur les notions de dose, d’exposition externe et de contamination interne ou externe, sur les différences entre alpha et gamma… Quelques rappels préliminaires ici.
Chiffres des rejets
On va commencer par une cascade de chiffres, pour avoir quelques ordres de grandeur en tête. C’est pas forcément intéressant à lire en détail, notez juste les écarts entre liquide/gazeux et entre les différents radionucléides 🙂.
Il s’agit des rejets radioactifs de la centrale de Nogent sur Seine, en 2017. Pourquoi celle-ci ? Parce qu’elle est en amont de Paris et donc est susceptible d’intéresser le plus grand nombre, tout simplement 😊 !
Tritium : 54 795 GBq par voie liquide, 1 154 par voie atmosphérique. Les limites légales sont respectivement de 83 886 et 8 000, donc atteintes à 65% et 14%.
Carbone 14 : 39 GBq par voie liquide, 318 GBq à l’atmosphère. Limites : 190 et 1400. Atteintes à 21 et 23%.
Iodes radioactifs : 0,010 GBq dans l’eau, 0,090 GBq à l’atmosphère. Les limites sont à 0,10 et 0,80, atteintes à 10% et 11%.
Gaz rares (argon, krypton, xénon) radioactifs : Uniquement par voie gazeuse, 4 366 GBq sur une limite à 45 000 atteinte à 10%.
Autres radionucléides : 0,25 GBq par voie liquide, 0,0030 par voie atmosphérique. Les limites respectives sont à 25 et 0,80, donc atteintes à max 1%.
Du coup, une centrale nucléaire, oui, ça rejette de la radioactivité dans l’environnement. Ça serait mentir de le nier. Une centrale à charbon aussi, au passage. Ou une usine d’engrais phosphatés, ou de traitement de minerais quelconques. Mais la bonne nouvelle, c’est qu’il y a des limites, et respectées avec des marges solides comme on l’a vu dans les chiffres précédents : au maximum, les rejets atteignent 65% de la limite (pour le tritium par voie liquide).
Relation dose-santé
Et ces limites, elles se basent sur quoi ?
Et bien entre autres sur la manière de respecter une exposition annuelle totale inférieure à 1 mSv pour les populations avoisinantes. Il y a aussi des considérations liées à la biodiversité, par exemple, mais je vais me focaliser ici sur la santé humaine.
Rappels : 1 mSv (millisievert), c’est la dose maximale d’exposition autorisée, en France, à la radioactivité liée aux activités industrielles. Ça ne prend ni en compte la radioactivité naturelle (2,4 mSv/an en moyenne), ni l’exposition médicale. Une dose efficace en mSv, ça prend en compte aussi bien le type de rayonnement que son énergie, le mode d’exposition (interne, externe…), la durée, et la cible (adulte, enfant…). Une dose de 1000 mSv ou plus, on sait que ça a des effets directs (déterministes) sur la santé. Une dose de 100 à 1000 mSv, ça a des effets probabilistes, ou stochastiques : va augmente les risques de contracter un cancer, notamment (en gros, de 0,5 points par centaine de mSv). En dessous de 100 mSv, c’est flou. Y’a deux principaux modèles : le modèle à seuil (aucun effet jusqu’à 100 mSv), le modèle linéaire sans seuil (le risque croît linéairement avec la dose entre 0 et 100 mSv). La réalité est vraisemblablement quelque part entre les deux.
Tout ça pour dire qu’avec 1 mSv pour le public comme limite légale, on prend quand même une grosse marge. Pour les personnes soumises à une exposition professionnelle, la limite est de 6 ou de 20 mSv/an selon la catégorie de personnel.
Bon, du coup, si les centrales faisaient tous leurs rejets aux limites légales, on aurait au maximum 1 mSv/an pour la population voisine. C’est déjà rassurant, mais : 🙋 quelle est la véritable exposition, compte tenu des rejets réels ? ☝Comment elle se mesure ?
Établissement des relations entre limites de rejets et doses
Et bien on ne peut pas la mesurer directement en faisant porter des dosimètres aux riverains, par exemple. Parce qu’à part quelques radionucléides, on serait sous le seuil de détection, donc la mesure serait assez pourrie. Du coup, l’on construit des modèles physiques, qui représentent les transferts entre la cheminée ou la conduite de rejets, jusqu’aux organes des riverains. Et l’on consolide ces modèles a l’aide de mesures et simulations, évidemment, c’pas fait au doigt mouillé. Et c’est ce type de modélisation que je vais tenter de vous décrire.
Primo, il faut lister les rejets, par radioélément et par mode de rejet. Ça, on l’a fait. Il faut aussi prendre en compte la forme physico-chimique de chacun. Ensuite, il faut construire une représentation de l’environnement : on le modélise alors comme un ensemble de boîtes, reliées par des systèmes de transfert au sein desquels circulent les radioéléments.
Illustrons avec un cas simple, les rejets liquides. Cette modélisation ressemblerait à ça :
Les radionucléides peuvent sédimenter ou rester en suspension/solution dans l’eau, où ils sont susceptibles d’être absorbés par la faune aquatique, qui est elle-même susceptible d’être absorbée par les consommateurs de poisson ou fruits de mer (bon, pas pour Nogent 😇).
Maintenant, un cas plus complexe, les rejets gazeux. On va y aller pas à pas. Pour commencer, on va juste reprendre le schéma précédent et en changer la configuration – pas le contenu. Et lui donner une sombre teinte bleutée, parce que… Je trouve ça joli.
Tout y est, on est d’accord ? On se le met de côté, on reviendra le chercher plus tard. Maintenant, on ne va plus regarder que les rejets atmosphériques.
Au début, c’est simple : de la radioactivité dans l’air, ça fait des rayonnements qui nous frappent.
Cet air radioactif, on ne fait pas que s’y mouvoir. On le respire aussi, un peu. Et donc on inhale des atomes radioactifs qui, selon leur forme chimique, pourraient bien être retenus par nos poumons, voire être transférés dans le sang. Exposition interne, donc.
Maintenant ça devient rigolo. Depuis le début, je fais de gros efforts pour parler de rejets à l’atmosphère, ou atmosphériques, et éviter de dire « gazeux ». Parce qu’on n’a pas que des gaz, qui s’échappent des cheminées.
On a aussi des aérosols, autrement dit, des particules en suspension qui sont susceptibles de venir se déposer sur les sols, sur la végétation, et notamment s’il pleut. En effet, la pluie entraîne les aérosols avec elle.
D’ailleurs on peut faire pleuvoir dans l’enceinte de confinement, au titre de la mitigation d’un accident grave, pour piéger les aérosols et évite leur libération dans l’atmosphère si l’accident empire.
Mais revenons à nos rejets non accidentels : on a donc des dépôts radioactifs qui se forment sur la végétation (les feuilles surtout) et les sols. Et les dépôts au sol nous rayonnent dessus, sur la durée.
Quant aux dépôts sur les végétaux, ils vont circuler dans la plante et donc intégrer nos cultures, et, in fine, notre alimentation.
Eeeet… Pas que la nôtre. Celle de nos élevages, aussi. (Vais-je attirer la hire de végétariens en mentionnant ce point ?)Et du coup, via la viande et le lait, les radionucléides vont se frayer un autre chemin vers nos assiettes et donc notre organisme.
J’ajoute ça à mon diagramme, j’incorpore mes rejets liquides que j’avais mis de côté…
Et j’ai mon diagramme avec toutes mes boîtes et mes transferts !
D’ailleurs, depuis le début je parle de radionucléides, mais la méthode doit être assez semblable pour n’importe quels rejets chimiques également, quelle que soit l’industrie.
Par ailleurs, dans cet exposé, je zappe tout un pan du modèle… Tous les rejets dans les cours d’eau, qui alimentent les Hommes, la faune, et servent à irriguer les cultures qui alimentent les Hommes et la faune, tout en drainant éventuellement des sédiments et lavant les dépôts… Bref ça part dans tous les sens avec des interactions supplémentaires de partout, donc sachez que ça existe et c’est intégré dans les études, même si je ne développe pas !
Bref : modèles et mesures permettent d’établir des facteurs de transfert entres les différentes cases. Par exemple, la dispersion dans l’air, en fonction des vents et de l’altitude des points de rejets. Car plus on rejette haut, mieux ça se disperse avant de toucher le sol ! Du coup, la hauteur des cheminées des usines est souvent corrélée à la nocivité des rejets – ou en tout cas à la volonté de les diluer au mieux.
Sachant ceci, je trouve assez rassurant de voir que les cheminées des centrales nucléaires (attention ! je parle des cheminées, pas des tours de refroidissement !) n’atteignent pas 100 m… Alors que pour les centrales à biomasse (EnR !) ou charbon, on peut dépasser 300 m !
On a aussi des facteurs de dilution dans les eaux, de concentration dans la faune ou les sédiments, des facteurs de transfert à l’Homme en fonction des régimes alimentaires, de transfert des feuilles des végétaux vers les fruits ou les racines… Et, évidemment, des facteurs de conversion de l’exposition (externe ou interne) en dose.
Tout ceci, à chaque fois que c’est nécessaire, est nuancé pour chaque radionucléide : les gaz ne se déposent pas sur le sol, l’iode ne se concentre pas de la même façon dans les fruits de mer et dans les sédiments…
Et aussi nuancé par groupe de population : un agriculteur n’aura pas la même exposition qu’un citadin, un enfant sera plus vulnérable qu’un adulte, n’aura pas la même alimentation, le même débit respiratoire, etc.
Résultats
Tout ça c’est bien beau, mais pour quel résultat ? Il est de combien, l’impact réel de ces rejets de Nogent sur les Parisiens partent dans la campagne fuir la pollution le week-end ?
Voilà ce que ça donne pour 2017, en nSv. Un nanosievert, c’est un milliardième de Sievert, c’est un millionième de la dose légale de 1 mSv/an dont on discutait au début.
On calcule les doses pour l’adulte, l’enfant de 10 ans, l’enfant d’1 an. Et ce, bien sûr, pour le groupe de population le plus impacté que l’ont ait identifié.
Rejets atmosphériques :
8 nSv pour l’adulte
8 nSv pour l’enfant de 10 ans
13 nSv pour le bambin
Rejets liquides :
340 nSv pour l’adulte
390 nSv pour l’enfant
480 nSv pour le bambin
Total :
Adulte : 348 nSv
Enfant : 398 nSv
Bambin : 493 nSv
Banana For Scale
L’ingestion d’une banane équivaut à l’engagement d’une dose efficace d’environ 120 nSv (source).
Donc pour la population la plus exposée aux rejets radioactifs de la centrale nucléaire de Nogent… 3 à 4 bananes par an.
Plus précisément, 2,9 bananes par an pour l’adulte, 4,1 bananes pour l’enfant d’un an : voilà l’ordre de grandeur du maximum de radioactivité auquel on s’expose en vivant un an à proximité d’une centrale nucléaire comme celle là.
Les drama s’effondrent !
La CRIIRAD préférera parler en « fois la normale ». Privilégiez plutôt la banane comme échelle de référence !