Le barrage de Vouglans et la centrale de Bugey

Le barrage de Vouglans a été en fin 2018 un nouveau levier pour entretenir la peur du nucléaire, suite à un reportage Envoyé Spécial racoleur et sensationnaliste laissant entendre un risque élevé de rupture du barrage, situé sur l’Ain, en amont de la centrale nucléaire du Bugey et de la ville de Lyon.

Retrouvez-le ici (mais c’est vraiment pas une perte de le zapper) :

Le principal message du reportage n’était pas le risque d’inondation de Lyon sous quelques mètres d’eau, mais le risque d’inondation de cette centrale nucléaire et ses 4 réacteurs de 900 MW (et un réacteur graphite en démantèlement).

Citons notamment cet article de France 3 qui parle d’un « scénario catastrophe » en citant un technicien selon lequel le barrage « peut péter à tout moment ».

France Info, à peine moins dramatique, reprend le terme de « scénario catastrophe » mais avec un peu plus de pincettes, en expliquant que des protections sont prévues, et ce, même dans l’éventualité d’une crue historique cumulée à la rupture.
Idem dans cet autre article. Avec l’affirmation complètement gratuite, dépourvue de source ou d’analyse, selon laquelle plusieurs autres centrales seraient menacées par le même barrage.

Bon, et du coup, le HCTISN, il dit quoi ?

Risque inondation : la Côte Majorée de Sécurité (CMS) définie pour le site de Bugey a été calculée selon la méthodologie actuellement en vigueur pour les centrales nucléaires françaises, découlant de la Règle Fondamentale de Sûreté (RFS). Les dispositions ont été prises pour que le site ne soit pas inondé en cas de rupture brutale du barrage de Vouglans cumulée à une crue centennale de l’Ain et une crue historique du Rhône.

Ceci étant dit, qu’a-t-on à tirer du reportage d’Envoyé Spécial ? La rupture brutale du barrage, même dans des conditions environnementales exceptionnelles, n’est pas une menace pour la centrale. Pourquoi on nous emmerde en essayant de faire croire le contraire ?

Si le reportage nous apprend éventuellement une chose, c’est que le barrage de Vouglans pourrait être faiblard. Ce n’est pas une menace pour la centrale nucléaire, mais peut l’être pour certains villages, et la ville de Lyon qui passerait sous potentiellement six mètres d’eau.

Mais ça, ça n’a l’air d’intéresser personne. Et pourtant, je crains que cette onde de submersion ne prenne même pas en compte des crues historiques, mais le niveau moyen de l’Ain. Le risque nucléaire est donc un non-sujet ici, tandis que le risque de dévastation… N’intéresse personne.

Risque, perception du risque.

Pour un même évènement initiateur, on a :

  • d’un côté, la quasi-certitude de faire des morts par milliers (dizaines, centaines de milliers ?) et des blessés, délogés, privés de tous ce qu’ils possèdent… en nombre astronomique ;
  • de l’autre, l’infime probabilité d’un accident nucléaire causé par des défaillances face à un évènement qui a été prévu dans la conception et les règles d’exploitation de la centrale.

Et seul le second excite les caméras, et, par conséquent, le public.

Ça me dépasse.

Le pseudo-reportage d’Envoyé Spécial n’a inquiété que pour le risque nucléaire, tout le monde a regardé la centrale… Pas le barrage.

Pour aller plus loin, je vous recommande mille fois cet excellent thread de @HumainCurieux, qui décortique en détail le reportage :

Les effets sanitaires des radiations

Non, les activités nucléaires ne rendent pas malade tout le monde dans un rayon de 50 km ; non les accidents nucléaires ne stérilisent pas une région sur des milliers de kilomètres carrés, pour des milliers d’années.

Mais il n’y a aucune chance pour que je puisse l’expliquer mieux que ça :

Et si votre temps et précieux et que vous ne savez pas si le sujet mérite une heure de votre temps, prenez au-moins quelques minutes pour le résumé ci-après, pour vous mettre en appétit :

Rejets radioactifs de l’usine Orano la Hague

Ce thread :

Était une réaction à tweet de Reporterre relayant un article relativement médiocre, mais l’énoncé du tweet était particulièrement accrocheur :

L’usine de La Hague est autorisée à rejeter 20 000 fois plus de gaz rares radioactifs et plus de 500 fois la quantité de tritium liquide qu’un seul des réacteurs de Flamanville situés à 15 km de là.

Terrifiant, n’est-il pas ? Les antinucléaires (en particulier la CRIIRAD) sont de grands utilisateurs du « fois la normale » comme unité de mesure de la radioactivité, ou comme prétendue unité de mesure du risque. Ici, c’est le « fois plus qu’un réacteur de Flamanville ». Toujours plus d’exotisme, à quand le système impérial ?

Plus sérieusement, nonobstant l’à-peu-près-science de Reporterre, est-il vrai que l’usine rejette des gaz et du tritium radioactifs en quantités énormes ?

Et bien… Oui et non. Oui, en termes de quantité de radioactivité, ce sont des grands nombres ; non, en termes d’impact sanitaire. C’est parti.

L’étude d’impact

Toute installation nucléaire de base (INB), et probablement aussi d’autres installations industrielles, se doit de produire une étude de son impact (sanitaire, environnemental…) avant sa création, et de la mettre à jour lors de ses grandes évolutions.

Les études d’impact sont publiques, mais délicates à trouver sur le net (c’est en préfecture, il me semble, qu’elles sont accessibles). Toutefois, j’ai mis la main sur une étude d’impact de l’usine Orano la Hague datée de 2017 ou 2018, toute fraîche donc.

Il faut savoir que pour les études d’impact, concernant l’impact sanitaire, on considère une « population de référence » qui est considérée comme la plus à risque. Dans le cas de l’usine, on a deux populations de référence, parce que les rejets sont par deux voies différentes.
En gros, pour les rejets gazeux, la pop de référence est une famille d’agriculteurs qui vivrait sous les vents dominants depuis l’usine, et consommerait énormément de vivres cultivées sur ses propres terres.
Pour les rejets liquides, la pop de référence est la famille de marins qui vivrait en aval des courants dominants depuis la conduite de rejets en mer, et consommerait beaucoup de produits de la pêche.

Impact des rejets

Je rédigerai un autre article expliquant la façon dont l’impact est calculé. Ici, j’en viens directement au résultat.

Pour chacune de nos populations de référence, on étudie l’ensemble des radionucléides rejetés par voie gazeuse et liquide par l’usine en fonctionnement normal (on ne parle pas d’accident ici), leur mode de propagation et d’exposition des populations, la dose qui en résulte (que ce soit par irradiation externe ou interne), et l’on peut ensuite en tirer une dose annuelle reçue par la population.

Concernant les gaz rares radioactifs, qui sont quasi-exclusivement constitués de Krypton 85, c’est très logiquement par voie gazeuse, et presque exclusivement celle-ci, qu’ils sont rejetés. Aux cheminées de l’usine, qui culminent à 100 m au-dessus du sol. Quant au tritium (ou hydrogène 3), si une petite fraction est rejetée sous forme gazeuse, la très large majorité l’est sous forme liquide, par la conduite de rejets en mer de l’usine.

La population la plus concernée par les gaz rares est donc celle d’agriculteurs, et la plus concernée par le tritium est celle de pêcheurs.

L’ensemble des rejets gazeux, c’est sur le nourrisson de la famille d’agriculteurs qu’ils sont les plus impactants.
Ils exercent une dose moyenne de 19 000 nSv/an (nanosievert par an), dont environ les deux tiers à cause des gaz rares radioactifs.

L’ensemble des rejets liquides, c’est sur l’enfant de la famille de pêcheurs (on ne considère pas le nourrisson dans ce cas là, qui ne se nourrira guère de produits de la pêche et notamment de fruits de mer). Ici, on parle de 7000 nSv/an, dont moins de 0,5% à cause du tritium.

Ces valeurs sont établies avec des marges importantes. Non seulement à chaque étape du calcul, mais également à la source : les doses que je présente ici sont les doses en supposant que l’usine rejette tous ses radionucléides au maximum de ce qui lui est permis. Ce ne sont pas les rejets réels, mais les rejets maximaux autorisés.

Comparaison à des valeurs de référence

Dans le même temps, la dose reçue par un habitant de Cherbourg, à 20 km de là, simplement par exposition externe, au moment où j’écris ces lignes, elle est de 70 nSv/h. 600 000 nSv/an.

Dans les autres grandes villes du nord-ouest, les valeurs sont du même ordre de grandeur : 65 nSv/h à Rouen, 70 nSv/h à Rennes. À Brest, on est 40% plus haut, à 850 000 nSv/an. Sous la Tour Eiffel, on serait plus bas, à seulement 400 000 nSv/an.

Ces valeurs, et celles dans des tas d’autres villes de France, à proximité ou non d’INB, vous pouvez les retrouver sur le site du réseau Téléray de l’IRSN, ou même sur l’application mobile Téléray.

Bref : l’impact radiologique que dénonce Reporterre est, avec de la marge, minime devant la radioactivité naturelle (davantage encore pour le tritium que les gaz rares radioactifs).

Pis : il est négligeable devant les variations de radioactivité naturelle d’une région à l’autre !


ADEM…ystifier

Introduction

En décembre 2018, sans se cacher d’une certaine politisation du calendrier en raison du débat public sur la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie qui battait son plein, l’ADEME nous a gratifié d’une nouvelle étude sur le futur du système électrique français.

Ou, plus exactement, la synthèse de l’étude, promettant la diffusion ultérieure de l’étude complète. Néanmoins, à ce jour, la synthèse attend toujours d’être appuyée de l’étude complète.

Dans cette étude, l’ADEME « prévoit […] un fort développement de la part des énergies renouvelables, estimée à 85% en moyenne en 2050 et à plus de 95% en 2060. » Tout en taclant la production nucléaire : le parc actuel pourrait être en partie mis à profit du développement des énergies renouvelables, tandis que la création d’une nouvelle filière (EPR) serait écartée car non compétitive.

Une lecture attentive mais non experte permet néanmoins de nuancer en profondeur les affirmations trop catégoriques du communiqué de presse, repris abondamment dans les médias le jour de la parution de la synthèse, avec un manque d’esprit critique peu surprenant. Les critiques vinrent ultérieurement, mais comme toujours… La première idée était diffusée, et bien plus que ne peuvent espérer l’être les critiques.

Il s’agira ici de présenter mes propres relevés de lecture de cette synthèse, mais bien d’autres peuvent être trouvées sur le web, parfois concordantes, parfois dissonantes, parfois plus complètes, parfois plus approfondies sur certains points… Un certain nombre de ces réflexions sont référencées sur Twitter sous le mot-dièse #ADEMystifier.

Ma lecture de ce document ne sera pas un « debunk ». Je pense que l’on à affaire à des personnes compétentes et honnêtes, parmi les rédacteurs, capables de poser des hypothèses, dérouler un raisonnement et des méthodes sérieux, et aboutir à une conclusion. Le but ne sera donc pas de s’attaquer aux méthodes, mais plutôt de balayer du regard les hypothèses à la base.

En effet, lorsque des scientifiques établissent un raisonnement type « si A est vrai, alors B est possible », la retranscription dans les médias et l’opinion publique est, bien souvent, « B est possible », quand ce n’est carrément « B est vrai ». La notion d’hypothèse, de condition, est omise.

Ce sont donc ces hypothèses sur lesquelles nous allons nous pencher, et discuter des plus amusantes et fantaisistes, s’il y en a (spoiler : il y en a).

Pour commencer, je vous invite à lire cet excellent et court thread. Des remarques intelligentes sur lesquelles il n’est donc pas intéressant de revenir.

Édito

C’est avec l’éditorial du document que nous commençons cette lecture. Lequel appelle, d’emblée, à une réflexion sur l’étude ADEME de 2015, valorisant la possibilité et l’intérêt d’un mix électrique 100% EnR et très largement diffusée à l’époque.
Voilà ce qu’on peut en lire :

« Cette étude à caractère technique ne prétendait en rien définir une trajectoire souhaitable du mix électrique. »

Cette affirmation ne tranche en rien avec ce que l’ADEME prétendait alors. En revanche, on pourra trouver un paquet d’articles dans la presse, de discours de politiciens, ou de communiqués d’ONG environnementalistes, disant ouvertement l’inverse.

L’édito contient également un avertissement relatif à cette nouvelle étude, et cela mérite d’être rappelé dans les articles de presse relayant l’étude – il faudrait vérifier s’ils l’ont fait :

Cette étude ne dit rien, bien sûr, des autres considérations d’ordre social, industriel ou environnemental.

L’ADEME est franche et le dit ouvertement dès la page 1 de sa synthèse. C’est une étude dont le périmètre est limité et les limites très clairement identifiées et énoncées. On jugera si la presse et les ONG ont repris cette précaution, où l’ont écartées… Si « Si A est vrai, alors B est possible » a bel et bien perdu son « Si A est vrai ».

Résultats clés

Page 2 de la synthèse. On nous présente des résultats, donc il n’y a pas vraiment d’hypothèse à relever, mais des éléments intéressants toutefois.

Le surcoût de développement d’une filière industrielle EPR (24 GW en 2060) serait au minimum de 39 milliards d’euros pour la nation.

Mais du coup, que l’on m’explique ce tweet ?

En vérité, page 2, une note de bas de page nous indique que ce calcul aboutit à 39 G€ avec un taux d’actualisation de 2,5%. Sans actualisation, le surcoût est alors de 85 G€, comme indiqué dans le tweet.
Le jour même de la parution de la synthèse, donc, l’ADEME elle-même, sur les réseaux sociaux, communiquait des résultats en faisant déjà l’impasse sur les hypothèses derrière…

Méthodologie et principales hypothèses

À cette page, l’ADEME nous re-confirme retenir un taux d’actualisation de 2,5%. Je n’ai pas les compétences pour le juger, je le prends volontiers tel quel. Sans faire d’exception en retenant 0% quand ça m’arrange ! Ce procédé est pour le moins… Litigieux.

On voit également à cette page que sur la consommation nationale d’électricité, on a un scénario « demande basse, où l’électricité passe de 25 à 40% de la consommation française d’énergie finale (pompes à chaleur, voitures électriques…) mais baisse nettement en valeur absolue (d’environ 450 TWh à environ 400).
Bon, consommer moins d’électricité en recourant plus souvent à l’électricité me paraît assez fantaisiste, mais il y a aussi un scénario « demande haute » pour lequel la consommation est en augmentation, et les deux sont pris en compte, donc c’est réglo.

Concernant le taux d’actualisation, on y revient aux pages 6 et 7, où l’on parle de 5,25% pour les EnR et 7,5% pour le nucléaire, dans les calculs de LCOE (levelized cost of electricity). Si la différence entre les deux se discute, elle est toutefois expliquée : c’est la rémunération des risques financiers, jugée plus élevée pour les investissements dans le nucléaire, qui l’expliquerait. En revanche, la raison pour laquelle on a perdu les 2,5% dont il était auparavant question m’échappe.

L’on m’a suggéré que le 2,5% pourrait être un taux d’actualisation, tandis que les 5,25 et 7,5% n’en sont pas (il s’agirait d’une coquille), mais des taux de rendement des financiers – qui exigent des rémunérations plus élevées pour les investissements plus risqués, ce qui serait cohérent avec l’explication avancée ci-avant. Je me permets de rester sur cette explication.

Coût de production de l’électricité renouvelable

Nous sommes toujours pages 6 et 7, où l’on peut constater les ambitions importantes quant à la baisse des prix des énergies renouvelables. En particulier, une décroissance exponentielle pour l’éolien offshore : de 140-180 €/MWh en 2020, elle baisse à 100-120 en 2025, 70-90 en 2030 et 60-80 €/MWh en 2040. L’éolien onshore arrive également à beaucoup baisser, de 70 à 40 €/MWh, et 70 à 30 €/MWh pour le solaire photovoltaïque au sol.

Bref : ce qui est cher baissera beaucoup, et ce qui a déjà beaucoup baissé continuera à baisser. Chacun appréciera !

Pays voisins

Concernant les pays voisins, l’ADEME reprend les hypothèses d’autres études, dont une réalisée par l’ENTSO-E.
Mais pas pour l’Allemagne, où ils se basent sur la promesse, purement politique, d’un mix électrique à 65% renouvelable en 2030. À démystifier, hein ? 😉

On se retrouve donc avec l’hypothèse d’une sortie totale du charbon en Europe de l’Ouest (jusqu’à la Slovaquie et la Slovénie, mais Pologne exclus) entre 2035 et 2040. Au moins une hypothèse que je souhaite très fort être vraie.

Lien entre nucléaire et gaz

L’étude réalise plusieurs scénarios qu’elle compare. Il en existe un où l’on sort du nucléaire au plus vite, en arrêtant un tiers des réacteurs actuels à 40 ans (ça, c’est dans tous les scénarios) et les deux tiers restants à 50 ans. Un scénario à la Greenpeace, EELV, LFI, etc., quoi. Encore que pour certains, si on leur laissait le choix, ils arrêteraient tout le parc à 40 ans.

Et bien ce scénario est le seul qui aboutit à la construction de nouvelles centrales à gaz. 15 GW, pour 12% du mix électrique en 2040.

Donc l’ADEME elle-même confirme qu’une fermeture prématurée du parc nucléaire est une connerie pour nos émissions de gaz à effet de serre. Si les organismes politiques ou non gouvernementaux cités plus tôt savaient lire aussi ce qui ne conforte pas leurs croyances…

Intermittence

Voilà un sujet intéressant !

En 2050, l’ADEME considère que 80% de la capacité de stockage que constituent les véhicules électriques est pilotable, et mise à contribution pour assurer la stabilité du réseau. Vous sentez venir cet âge où l’on chargera sa voiture sur autorisation, si les vents sont favorables, et où l’on sera obligés de décharger la voiture pour se chauffer en vague de froid ?

Ensuite, on arrive sur un des meilleurs moments de la lecture de ce rapport. Les exemples de courbes de production et de consommation électrique en 2050.

Cette courbe a été très moquée, mais je ne vais pas me priver d’en rajouter une couche !

Ce qui saute aux yeux en premier lieu, c’est le coup de la « semaine d’hiver ». Un début septembre bien ensoleillé (jusqu’à 40 GW de solaire sur un parc de 80 GW). Une semaine d’hiver en début septembre. Voilà qui est annonciateur d’un dimensionnement solide pour passer les pics de consommation de l’été, en février !

On saluera aussi la quasi-disparition du pic de consommation du soir, y compris dans la « demande non pilotable ». Le profil de consommation des français a donc changé pour permettre aux énergies renouvelables de gagner en pertinence…

On voit aussi la part importante de l’industrie que l’on peut effacer si besoin, les 7-8 GW de batteries en plus des voitures électriques… Lesquelles sont d’ailleurs largement mises à profit, parfois le soir, parfois en journée. Selon les besoins du réseau – pas vos besoins à vous, non. Bref, les usagers sont largement asservis au vent et à l’ensoleillement. Tu m’étonnes qu’un mix 80% renouvelable soit intéressant dans ces conditions…

Les importations sont conséquentes, notamment la nuit.

La biomasse et la méthanisation sont à peu près aussi présentes que l’hydraulique. Je rappelle que l’impact environnemental n’est pas étudié, point à garder en tête lorsque l’on parle biomasse.

On a également une jolie base de 5 GW de « Autres EnR » : houlomoteur, hydroliennes, géothermie, incinération des déchets… Encore un élément à garder en tête, parce que non évident.

Mais ce qui m’intéresse le plus, c’est que l’on voit que l’on s’en sort avec 3 jours pauvres en production éolienne (mais riches en production solaire), et qu’on en appelle déjà, dans ces conditions, au gaz et aux importations. Mais qu’est-ce que ça va donner lors du vrai hiver, quand le solaire est insignifiant, et si l’éolien vient à manquer !

Prix consommateur du kilowattheure

Encore un grand moment. Une des plus belles perles.

Page 13, on nous présente que le scénario dit « de référence » aboutit à un MWh entre 90 et 95€ à partir de 2040, après un pic à 105 €/MWh en 2030. En comptant une large part de coûts de réseau, d’EnR, d’imports…
On pourrait tiquer sur le fait que le coût des batteries et de la flexibilité soient jugés dérisoire, mais on n’est pas là pour ça.

Les coûts semblent bel et bien tout inclure. Ou presque : il est précisé qu’ils n’incluent pas…
Suspense…

Ils n’incluent pas les coûts relatifs à l’efficacité énergétique. Ah. Bon, Ok, d’un autre côté, c’est normal de ne pas les compter dans le coût de l’électricité. Mais on les comptera dans le coût total du scénario, hein ?

Et bien, c’est à dire que… Je vous ai déjà montré ma collection de timbres ? *diversion*

Coût des scénarios de transition

Non, ils ne le sont pas. Il y a même un scénario nommé « efficacité énergétique », qui ne prend pas en compte les coûts liés aux efforts d’efficacité énergétique.

C’est même, des sept scénarios étudiés, le moins cher ! Forcément, puisqu’il repose sur un effort important dont on ne chiffre pas le coût…

Quand on regarde tout ça, en écartant le premier scénario, absurde, il reste 6 scénarios dont le coût avoisine 1300 milliards d’euros, avec une plage de variation de 40 milliards (3%) entre le moins cher (« prolongement nucléaire facile ») et le plus cher (« EPR en série »). Du coup, je m’interroge : l’ADEME établit un classement entre six scénarios pour déterminer un cas optimal, alors que l’écart entre chacun de ceux-ci est très faible.

Quel impact sur le classement si l’éolien coût 5% plus cher que prévu ? Si les taux d’actualisation sont à décaler de 0,5 points ? Comment s’en tirent les différentes trajectoires si les pays voisins ne suivent pas les trajectoires qu’on leur prête ? Si le public n’accepte pas de fournir gratuitement ce qu’on attend de lui en flexibilité ? Les coûts projetés de la filière batterie (en véhicule électrique ou en parcs de batteries) et ceux de la filière power-to-hydrogen, hautement hypothétiques, peuvent-ils bousculer les comparaisons ?

Il me paraît fort présomptueux, au vu de l’incertitude sur les hypothèses et les faibles écarts sur les résultats, d’avancer de manière ferme que telle ou telle trajectoire est moins chère qu’une autre. Pas vous ?

Les scénarios sont tellement proches qu’un simple petit ajustement, très léger, de quelques hypothèses peut changer le classement, à mon avis. Et ce constat fait, je rappelle l’un des rôles de l’ADEME, telle que fixés par l’article L131-3 du Code de l’Environnement :

[…] Cet établissement public exerce des actions, notamment d’orientation et d’animation de la recherche, de prestation de services, d’information et d’incitations dans chacun des domaines suivants : […] 4° La réalisation d’économies d’énergie et de matières premières et le développement des énergies renouvelables, notamment d’origine végétale ; […]

En étant un poil médisant, je pourrais aller jusqu’à envisager que si l’ADEME se retrouve à choisir entre deux hypothèses allant en faveur du nucléaire ou des énergies renouvelables, la loi lui impose de choisir la seconde.

Bref, continuons un peu…

Le parc nucléaire historique

Globalement, sur ce sujet, leurs hypothèses me paraissent raisonnables. Ils supposent systématiquement la fermeture d’un tiers des réacteurs à 50 ans, quel que soit le scénario, mais c’est présenté comme une hypothèse conservative, dans le cas où EDF ne parviendrait pas à obtenir la prolongation de la totalité des réacteurs, ce qui est discutable, mais pas insensé.

Il est dit, toutefois, que prolonger tout le parc à 60 ans nous coûterait de l’argent à partir de 2040, à cause des « pertes d’opportunité ». C’est à dire que le nucléaire français serait la cause d’une surcapacité à l’échelle européenne, faisant baisser les prix de marché et donc faisant baisser sa propre rentabilité, ainsi que celle des EnR qui nous coûteraient donc plus cher en compléments de rémunération.

Ok, le raisonnement semble se tenir. MAIS.

Est-ce que l’on est en train de parler de construire 80 GW de solaire, 90 GW d’éolien, 20 GW de stockage… Et de mettre sur le compte du parc nucléaire historique le problème de surcapacités ? Et bien oui, ma p’tite dame !

Ceci étant dit, entre 2050 et 2060, selon les scénarios, on devient importateurs nets d’électricité, donc j’ai bien envie de dire qu’on aurait intérêt à avoir des surcapacités pour faire baisser les prix de marché, hmm ? Toutefois, ils admettent sur ce point que leur modèle n’est pas apte à réaliser des projections solides au-delà de 2050.

Fin et conclusion

S’ensuit tout un passage sur le marché, je ne vais pas trop m’y immerger. Puis un autre sur la stabilité en fréquence du réseau, mais le thread de Nicolas Goldberg cité au début de cet article dit tout ce qu’il y a à dire dessus. Mais il y a quand même un gros trou dans cette étude à ce sujet. Ses auteurs, toutefois, le reconnaissent et proposent des pistes pour améliorer la stabilité en fréquence. À ne pas oublier lorsque des politiciens viendront présenter cette étude comme une trajectoire « prête à adopter » !

Enfin, la synthèse se termine par une pleine page « Limites et perspectives ». Un beau geste de transparence (« limites identifiées et énoncées », disais-je plus tôt). Et parfois des aveux folkloriques.

La compétitivité des EnR françaises face aux EnR à l’étranger n’a pas été étudiée.

Donc toutes les hypothèses sur la rentabilité des importations et exportations sont plus ou moins infondées, si je comprends bien ? Celles qui servaient à disqualifier la rentabilité d’un prolongement maximal du parc nucléaire ?

L’optimisation économique n’intègre pas de considérations ni d’indicateurs d’ordre social, environnemental ou industriel, comme les impacts sur l’emploi, sur l’environnement (sol, paysages, biodiversité, consommation de matériaux, etc.) ou sur le positionnement des industriels français sur les nouvelles technologies qui pourraient être susceptibles de conduire à un optimum différent, dans le sens du développement durable.

C’était dit, c’est répété, et il est vraiment important de garder en tête ces limites.

Je vais conclure en parlant de la forme : il y a pas mal de coquilles. Je ne vais pas m’amuser à les énumérer, ça serait lourd et mesquin, mais il y a clairement un côté « pas fini ». Ce n’est pas grave, hein, mais ça tend à confirmer qu’il y a eu une accélération du process pour sortir le document en plein débat public. Un calendrier politique, donc.

Allez, le mot de la fin : l’ADEME a produit un travail, à priori, sérieux et intéressant.

Mais s’est livré à un jeu de communication beaucoup moins intègre, et qui ne peut qu’être amplifié dans la presse et les politiques. Alors… Soyez vigilants. Tout simplement !

Cycle #8 Une perspective d’évolution à long terme

Au sommaire de cet article :

  • Une analogie simple : le bois
  • La surgénération Uranium / Plutonium
  • Les neutrons rapides
  • Performances d’un parc de surgénérateurs
  • Un nouveau cycle du combustible
  • Incinération des actinides
  • Considérations économiques élémentaires
  • Bref retour sur le thorium
  • Concluons ?

Petite mise au point sur mes hypothèses de départ : je me projette, dans cet article, toujours en France, et dans un futur où la filière nucléaire n’est pas abandonnée et où l’évolution du cadre social et économique permet de continuer à développer et mettre en œuvre de nouvelles technologies.

Une analogie simple : le bois

Pour les besoins d’une analogie que je trouve très intéressante, permettez que je raconte une courte histoire qui n’a à priori rien à voir.

Dans un petit gîte, au fond d’une forêt de Laponie, vous sentez approcher une tempête de neige qui pourrait bien faire descendre la température sous les niveaux tolérables par le corps humain.

Votre seule chance de ne pas y laisser vos os, c’est d’allumer une flambée dans votre cahutte, et l’entretenir toute la nuit. Mais pour ce faire il vous faut, avant que n’arrive le blizzard, amasser suffisamment de bois pour tenir le feu vif pendant les longues heures à venir.

Vous amassez avec satisfaction un impressionnant tas de bois que vous rangez à l’intérieur. De quoi vous garder au chaud bien plus longtemps que nécessaire.

Alors que, même à l’abri du vent, la température commence à vous piquer la peau, vous allumez sans mal un petit foyer. Et c’est au moment où vous essayez à en faire un feu plu généreux, à même de réellement vous réchauffer, que la réalité vous rattrape.

Le bois est humide.

Vous cherchez désespérément, dans le tas devant vous, du petit bois, qui brûlera mieux. Mais c’est une évidence : vous n’en aurez pas assez pour passer la nuit. Et les hurlements du blizzard attaquent déjà les murs de votre cabane.

Votre cerveau, lui, chauffe à la recherche d’une solution plus intelligente que de mettre le feu à tout le chalet, pour vous réchauffer. Et voilà que survient l’illumination ! Vous vous attelez à agencer le bois humide autour du foyer, construisant une sorte de tipi de branches léché par les flammes. Certes, cela vous empêche de pleinement profiter de la chaleur, et vous devez, en compensation, brûler un peu plus de petit bois, réduisant encore plus l’espérance de vie de votre stock – et donc la vôtre.

Mais en contrepartie… En quelques dizaines de minutes, le bois humide de ce tipi a séché, et vous fournit du bois sec supplémentaire pour alimenter un deuxième feu. Et autour de chacun de vos deux feux, vous construisez la même couverture de bois humide. Qui séchera, et viendra lui aussi alimenter le feu. Pour faire sécher plus de bois.

Et finalement, pour une brassée de bois sec, vous séchez dix brassées de bois humide : voilà que le péril d’une cryogénisation s’éloigne !

Sans même que j’aie à l’expliquer, vous avez compris le principe de la surgénération. Consommer un peu de matière combustible, fissile dans le cas du nucléaire, pour produire de l’énergie tout en transformant de la matière non combustible (fertile, dans le nucléaire) en matière combustible.

Reprenons le combustible nucléaire usé, vous voulez-bien ?

La surgénération Uranium / Plutonium

Sur une tonne de combustible frais, nous avions 35 kg de matière fissile, l’uranium 235. Une fois passée en réacteur, cette tonne contenait encore 10 kg d’uranium 235, mais on y avait également créer 10 kg de matière fissile supplémentaire : le plutonium. Celui-ci se forme par capture d’un neutron par un noyau d’uranium 238, non fissile.

©IN2P3

Cela signifie donc que nous sommes capables de produire non seulement de l’énergie, mais aussi, comme sous-produit, de la matière fissile, à partir de matière qui ne l’est pas. Ici, de l’uranium 238 qui devient plutonium 239 (et éventuellement 240, 241…) par capture d’un neutron (ou plusieurs captures successives).

Hélas, on crée moins de matière fissile que l’on en consomme. D’autant plus que dans nos réacteurs à eau, seule une partie du plutonium est fissile ; je vous renvois à l’article sur le recyclage.

En bilan global, on consomme donc davantage d’atomes fissiles que l’on en produit, et c’est pour ça que malgré le recyclage (et ce, même si l’on recyclait indéfiniment et pas seulement une fois), on extrait continuellement de l’uranium de l’environnement.

Mais peut-on imaginer inverser la tendance ? En réacteur, produire davantage de noyaux fissiles que l’on en consomme ? Comme on sèche plus de bois humide, que l’on ne consomme de bois sec ?

C’est le principe de la surgénération.

Un principe assez simple à mettre en œuvre, en apparence : il faut concevoir un cœur très concentré, qui produirait beaucoup plus de neutrons qu’il en consomme et dont l’excédent de neutrons fuirait vers l’extérieur du cœur. Étape 2 : enrober le cœur d’une couverture de matière fertile.

Ah, oui, au passage : fertile, c’est ce que l’on dit d’un isotope qui n’est pas fissile, mais qui peut le devenir s’il capture un neutron. C’est notamment le cas de l’uranium 238 (qui devient, après quelques étapes intermédiaire, du plutonium 239) et du thorium 232 (qui devient uranium 233, fissile aussi). Mais le thorium, on va le mettre de côté pour le moment. On va plutôt entourer notre cœur d’une couverture d’uranium appauvri (99,5% à 99,8% d’uranium 238).

Évidemment, si c’était si simple… Pour que ça se passe comme prévu, il y a une condition compliquée à gérer.

Les neutrons rapides

Il faut que le réacteur fonctionne en neutrons dits « rapides », c’est à dire qui ne sont pas ralentis après avoir été produits par une fission. Et il faut donc oublier directement les réacteurs refroidis à l’eau, puisque l’eau est très bonne pour ralentir les neutrons !

Le ralentissement des neutrons, on en parle plus en détail ici.

Quelles alternatives à l’eau pour refroidir le réacteur ? On pourrait y aller avec du gaz (diazote, dioxyde de carbone, gaz noble…). Ou un liquide de types sels fondus.

Mais ce qui a été le plus couramment retenu dans le monde, et particulièrement en France, c’est le métal liquide. Dans les candidats, il y avait le plomb liquide, ou un alliage plomb-bismuth. Les russes ont poussé le concept assez loin, puisqu’ils ont même développé une famille de sous-marins nucléaires dotés d’un tel réacteur, refroidi au plomb-bismuth !

En France, c’est le sodium, le métal qui a été privilégié. Moins cher, moins toxique, moins corrosif, mais très facilement inflammable : ce ne sont que des visions différentes des compromis à faire.

Et ce qui serait intéressant, ce serait de ne pas produire des quantités astronomiques de plutonium, donc on serait bien avisés de ne pas parler de surgénération, mais d’isogénération : produire autant de matière fissile que l’on en consomme.

Et qu’est-ce que ça donnerait, un parc d’isogénérateurs, en France, pour garder notre production électronucléaire d’environ 400 TWh/an ?

Performances d’un parc de surgénérateurs

Pour commencer, il faudrait déjà une bonne charge de plutonium : environ 20 tonnes par réacteur. On n’en manque pas, ce sont des centaines de tonnes qui attendent qu’on s’en occupe, dans le MOx usé – en plus des 10 tonnes que l’on produit déjà annuellement.

Ah, oui, le MOx usé. On disait, dans le précédent billet sur le recyclage, qu’on ne recyclait pas le MOx usé, parce que la composition isotopique du plutonium était trop dégradée, avec une teneur trop importante en isotopes non fissiles, voire neutrophage (ils absorbent les neutrons sans fissionner ni devenir fissiles).

Mais justement, c’est pour cela que l’on voulait des réacteurs à neutrons rapides (RNR). Les neutrons rapides sont beaucoup moins sensibles aux différences entre les isotopes, et les font plus ou moins tous fissionner, moyennant ou non une capture intermédiaire. Donc avec un parc de RNR, retraiter le MOx devient beaucoup plus intéressant qu’aujourd’hui.

On charge donc nos réacteurs avec du MOx boosté à 20% de plutonium contre 80% d’uranium appauvri ou naturel, et on récupère à la sortie du combustible avec 20% de plutonium (isogénération !), 5% de produits de fission et actinides mineurs (comme aujourd’hui), et 75% d’uranium.

On laisse refroidir quelques années à quelques décennies, on retraite pour extraire les 5% qui deviendront des déchets, on fait l’appoint en uranium appauvri pour compenser les 5% de perdus, on re-fait des assemblages combustible, et c’est re-parti pour un tour en réacteur.

La consommation de ressources se limite à l’appoint en uranium appauvri, à hauteur d’environ 50 tonnes par an pour l’ensemble de notre production de 400 TWh.

Et vous savez quoi ?

De l’uranium appauvri, a fait des décennies qu’on en produit lorsque l’on fait de l’enrichissement. Aujourd’hui, on en produit environ 8000 tML/an que l’on… Entrepose. En attendant.

Stock actuel : trois cent mille tonnes. Z’avez bien lu. Avec un parc complet d’isogénérateurs, on consommerait 50 tonnes par an d’une ressource dont on a déjà extrait 300 000 tonnes.

Sans déconner : on peut s’offrir six millénaires d’autonomie. Sans exploiter de ressource naturelle. En diminuant les quantités de MOx usé et d’uranium appauvri entreposées.

Un nouveau cycle du combustible

On passerait donc du cycle actuel, partiellement ouvert, avec mono-recyclage en réacteur à eau, que cette image résume en reprenant tous les éléments de cette série d’articles…

…à un cycle à base de réacteurs à neutrons rapides et multi-recyclage. On parle alors de « fermer le cycle ». Une ambition de la filière nucléaire française depuis ses débuts ! La conception du premier réacteur à neutrons rapides français a commencé en 1957, pour une divergence en 1967.

Puis les expérimentations ont continué, avec Phénix et Superphénix. Et les expérimentations appropriées ont aussi été menées côté retraitement, avec le multi-recyclage du cœur de Phénix.

Incinération des actinides

En bonus, à plus long terme, les réacteurs à neutrons rapides offrent une perspective intéressante supplémentaire : ils pourraient être adaptés pour transmuter les actinides mineurs, qu’on aurait au préalable séparé des déchets. Les transmuter, c’est à dire les transformer en isotopes fissiles, puis les fissionner pour les transformer en produits de fission ordinaires.

Les actinides mineurs, ils ont beau ne peser que 0,1% du combustible usé, ce sont des radioéléments qui chauffent beaucoup, ont des demi-vies longues, voire très longues, et sont des émetteurs alpha très radiotoxiques.

Des déchets purifiés de leurs actinides mineurs, ce sont donc des déchets qui chauffent moins, et sont donc significativement plus compacts et faciles à stocker, et dont la radiotoxicité décroît beaucoup plus vite.

Mais bon, là, je pars un peu loin : si la démarche est possible en théorie, la preuve de sa faisabilité reste à apporter, tout comme la démonstration de sa balance bénéfice/risque favorable.

Bon, et si les surgénérateurs sont si géniaux, qu’est-ce que l’on attend ?

Considérations économiques élémentaires

Ce sont des réacteurs autrement plus compliqués à développer et exploiter. Certes, ils fonctionnent à basse pression, très appréciable à côté des 150 bar d’un REP, mais leurs caloporteurs ne sont pas commodes à manipuler – que ce soit le plomb, le sodium ou de quelconques sels. Et qui dit plus compliqué, dit plus cher.

Or, qui va payer plus cher des réacteurs dont le principal intérêt est d’économiser l’uranium naturel, alors que celui-ci est abondant et ne coûte rien ?

Personne. Donc ces réacteurs ont peu de chance de voir le jour avant que l’uranium ne reprenne significativement de la valeur.

Quant aux malins que je vois déjà arriver avec les sels fondus : en admettant que les réacteurs à sels fondus soient plus simples et donc moins coûteux que leurs homologues au sodium ou au plomb, pas de souci : c’est sur la complexité du retraitement que la compensation va se faire :-/.

Et tant qu’on y est…

Bref retour sur le thorium

Pourquoi est-ce que l’on ne s’intéresse quasiment pas au cycle thorium 232 / uranium 233? en France ?

Déjà, on n’a pas la ressource. Certes, sur Terre, le thorium est plus abondant que l’uranium, mais encore faut-il l’extraire. Et je ne crois pas que l’on aie de gisement en France. Alors que l’uranium appauvri, comme on l’a dit, yapluka se servir, l’extraction a déjà été faite et les stocks attendant que ça.

Deuxièmement, on a déjà développé toute une industrie du cycle, sur la base du couple uranium 238 / plutonium 239. On a les installations et le savoir-faire. Tandis que pour le cycle thorium, que l’on sait, d’ailleurs, plus complexe, on n’a rien de tout cela et l’on partirait quasiment de zéro.

Bref, compte tenu de l’Histoire du nucléaire français et des avantages éventuels et ténus du cycle thorium, je ne vois pas vraiment d’intérêt à développer celui-ci dans notre pays.

Concluons ?

Les intérêts à long terme de la surgénération, en France, sont indéniables. S’il n’y avait qu’une chose à retenir de cet article, c’est celle-ci :

Avec un parc complet d’isogénérateurs, on consommerait 50 tonnes par an d’une ressource dont on a déjà extrait 300 000 tonnes.

La France a freiné avec l’arrêt de Superphénix en 1997, et suspendu la recherche expérimentale avec l’arrêt de Phénix, 10 ans plus tard. Aujourd’hui, c’est le prototype ASTRID qui pourrait se voir abandonné, alors qu’il n’en est qu’aux études préliminaires.

Certes, le signal prix et l’acceptabilité sociale ne jouent pas en faveur d’une relance. Cependant, dans une démarche de vision à long terme, sans aller jusqu’au déploiement d’une série de réacteurs, il me paraît intéressant de préserver un savoir et un savoir-faire, et de retrouver la place d’expert qui fût jadis la nôtre dans ce domaine.

En l’absence de motivation industrielle, seul le signal politique peut concrétiser ce genre d’aspiration. Au travers d’ASTRID, qui reprend l’expérience acquise sur 3 réacteurs sur 50 ans, renforcée des standards économiques et de sûreté actuels. Que diriez-vous de ne pas se laisser porter par les événements, d’aller de l’avant ?

Il ne tient qu’à nos élus d’agir en ce sens.
Tandis que la direction opposée est promue par nos chers écologistes politiques. Sont-ils à ce point rebutés par une industrie nucléaire qui consommerait moins de ressources, serait moins dépendant des importations, polluerait moins l’environnement (car moins de mines) ?

Sur cette pensée, concluons cette série sur le cycle du combustible.

Merci pour cette longue attention.

Cycle #7 Recyclage, MOx, URT et URE

Pénultième article sur le cycle du combustible nucléaire. Cette fois, ça y est : on va enfin comprendre pourquoi on appelle ça un « cycle » alors que, jusqu’à présent, ça n’avait rien de circulaire. Bref : on va parler de recyclage.

La première étape du recyclage du combustible usé, c’est son traitement pour en séparer les composants. Ça, on l’a déjà vu ici.

Au programme de cet article, on a :

  • Bilan matière
  • Potentiel énergétique du plutonium de retraitement
  • Recyclage du plutonium
  • Fabrication du MOx
  • Emploi du MOx en réacteur
  • Enjeux futurs du MOx
  • Le MOx après irradiation en réacteurs
  • Bilan du cycle et taux de recyclage
  • Uranium de retraitement.

Bonne lecture !

Bilan matière

On va re-faire le point sur un petit bilan de matière.
Au départ de notre cycle était l’uranium naturel, dont la France est importatrice et consommatrice à hauteur d’environ 8000 tML/an.
Conversion, ultracentrifugation, voilà qu’il nous reste 1075 tML de matière prête à faire du combustible.
Or, ce que l’on charge dans les réacteurs, on a dit que c’était 1200 tML/an environ.
Cette incohérence entre le tonnage de combustible produit et le tonnage consommé était intentionnelle, et on va l’expliquer à présent.

Naturellement, ce que l’on décharge des réacteurs, ce sont 1200 tMLi, autant que l’on en a chargé.

Toutefois, dans l’article sur le retraitement, c’était à nouveau de 1075 tMLi/an que l’on évoquait ! C’était, là encore, intentionnel.
De cette quantité, le retraitement permet de séparer 11 tonnes de plutonium et 45 tonnes de futurs déchets de haute activité à vie longue. Et le reste, c’est de l’uranium, que l’on appelle « uranium de retraitement », ou URT.

Toutefois, ce sont les 11 tonnes de plutonium qui nous intéressent le plus.

Potentiel énergétique du plutonium de retraitement

Composées, pour environ deux tiers, de plutonium 239 et d’un tiers d’autres isotopes, ça peut paraître anecdotique, 11 tonnes, quand on parle d’un flux de matière de 8000 tonnes par an.

Mais ces 11 tonnes ont un potentiel énergétique qui ne déconne pas.

Pour vous faire une terriblement mauvaise comparaison : Fat Man, c’était à peine 6 kg). Pour faire une comparaison un peu plus honnête, ce ne sont pas 11 tonnes de plutonium à 8000 tonnes d’uranium qu’il faut comparer, mais 7 tonnes (environ) de plutonium 239 (fissile) à 56 tonnes d’uranium 235 (fissile), qui est la quantité présente dans les 8000 tonnes importées annuellement.

Finalement, 7 tonnes contre 56… C’est déjà moins ridicule !

Allez, encore une comparaison ? Un gramme de plutonium 239 qui fissionne, ça libère la même quantité d’énergie qu’une tonne de pétrole brûle. Est-ce que 11 millions de tonnes de pétrole, ça passerait pour anecdotique ? Je ne pense pas : c’est 15% de la consommation française annuelle de pétrole et produits pétroliers !

Bref, ce potentiel énergétique, on ne va pas se priver d’en profiter.

Recyclage du plutonium

On va donc se resservir de ce plutonium, en le diluant dans de l’uranium appauvri (vous vous souvenez, les résidus de l’enrichissement) pour fabriquer du combustible identique (en apparence) au combustible nucléaire classique, à l’uranium.

11 tML de plutonium, diluées dans 114 tML d’uranium appauvri, ça nous fait les 125 tML de combustible supplémentaire qui manquaient dans notre bilan matière.

125 tonnes d’Oxydes Mixtes (MOx) qui viennent compléter 1075 tonnes d’Oxyde d’Uranium (UOx).

Et la fabrication de ce MOx est réalisée par Orano Melox, à Marcoule, dans le Gard. Juste à côté du CEA de Marcoule, qui a vu les premiers réacteurs électrogènes et la première usine de retraitement ! Bref, la boucle est bouclée, aussi bien en termes historiques qu’au niveau du flux de matière.

Fabrication du MOx

Le procédé de fabrication est très semblable à celui de l’UOx. Avec, en plus, en amont des opérations, une soigneuse phase de mélange, pour avoir une répartition homogène du plutonium dans l’uranium, et la bonne quantité de plutonium dans chaque crayon. En gros, de l’ordre de 10% de la masse des noyaux lourds, c’est du plutonium (on retrouve bien, en gros, le ratio de 11 tML qui deviennent 125 tML de combustible).

Il y a quand même une particularité qui complexifie grandement les opérations : la dangerosité de la matière manipulée. Le plutonium est extrêmement nocif par inhalation (jusqu’à 200x plus pour le plutonium 239 que l’uranium 235) et peut contenir des traces d’américium, qui est aussi un émetteur alpha nocif, mais en plus de ça, un émetteur gamma, donc irradiant même de l’extérieur.

Ainsi, contrôle stricts pour limiter la teneur en américium du plutonium reçu de l’usine de La Hague, opérations à distance chaque fois que c’est possible et, si des opérations sont réalisées au contact de la matière, c’est au travers de boîtes à gants : des enceintes fermées et ventilées pour toujours être en dépression par rapport à la pièce où elles sont, et où peut circuler le personnel. L’air allant de la pièce vers l’intérieur des boîtes à gants, les poussières de plutonium ne peuvent pas sortir des boîtes tant que la dépression est maintenue.

Et les salles dans lesquelles sont ces boîtes sont elles-mêmes en dépression par rapport au reste du bâtiment.

Lui même en dépression par rapport à l’extérieur.

C’est ce que l’on appelle une cascade de dépression, et ça illustre très bien le principe de défense en profondeur ^_^.

Et les boîtes à gants ne sont pas une spécificité du milieu nucléaire :

Emploi du MOx en réacteur

Le MOx à la sortie de l’usine de Melox se présente sous la forme d’assemblages combustibles similaires à ceux que l’on connaît pour l’UOx, prêt à livrer à EDF – ou aux clients à l’international.

Par contre, côté client, c’est plus compliqué que ça : le plutonium a des propriétés, notamment neutroniques, qui ne permettent pas de juste substituer, dans les cœurs de réacteurs, l’UOx par du MOx.

Par exemple, il est plus exigeant en réactivité du pilotage ; tout en étant moins sensible aux grappes d’absorbant. Il faut donc changer celles-ci, ainsi que faire les changements associés dans les automates et les chaînes de commande, par exemple. Et, nécessairement, adapter en fonction les Règles Générales d’Exploitation, le Rapport de Sûreté, les procédures, etc.

Bref, ça n’est pas si simple.

En France, ce sont donc 24 réacteurs sur 58 qui sont autorisés à fonctionner avec du MOx – et encore, pas plus d’un assemblage sur trois, le reste en UOx. Et aux dernières nouvelles, 22 réacteurs étaient effectivement chargés en MOx.
Pourquoi seulement 22 ? Parce que 22 suffisent à écouler tout le plutonium produit par Orano La Hague, tout simplement.

Enjeux futurs du MOx

Et j’en profite pour mentionner quelque chose qui ressort avec les actualités (la PPE) : on ne doit pas stocker de plutonium séparé.

C’est un engagement de la France au nom du traité de non prolifération nucléaire : le plutonium « séparé » (sous forme extraite du combustible), c’est une matière potentiellement utilisable dans l’armement, et donc moins on en a, plus sûr ça apparaît.

Nuançons toutefois : le Plutonium issu des REP est trop riche en isotopes autres que le 239, il est donc peu propice à faire des bombes – peut-être même ne le permet-il pas du tout, je ne sais pas 🤔
En tout cas, le Plutonium de qualité militaire, produit par les réacteurs à graphite et eau lourde, a une teneur en Plutonium 239 bien plus haute que ce qui est permis par les REP.
Ça, c’est pour ceux qui croient encore que le parc nucléaire est à vocation militaire (alors que le dernier réacteur à graphite français a été arrêté il y a 25 ans).

BWEF toujours est-il que l’on se refuse à accumuler plus de plutonium séparé que nécessaire pour les besoins de fluidité du cycle (environ 40 tonnes quand même).

Le rapport avec l’actualité ?
Ben ça nous oblige à être sur des flux tendus de plutonium.
Et si on ferme des réacteurs moxés, on consommera moins de plutonium.
Si on ne veut pas stocker, il faut donc moins en produire. Donc moins retraiter.
Et le tonnage de combustible retraité diminuera plus vite que le tonnage de combustible usé produit.

Donc on va accumuler du combustible usé ! Quid du long terme ? Quid du remplissage des piscines ?

Bien sûr, tout ça, ça s’anticipe. Notamment en développant la possibilité de moxer d’autres réacteurs.
Les études et travaux nécessaires prennent du temps, donc on est dans de la vision à long terme, là.
Et vous savez qui n’est pas bon en vision à long terme ?

Les politiques.
Qui décident arbitrairement des fermetures prématurées de réacteurs nucléaires.
Remettant en cause la planification réalisée, donc…

Pratique.

Mais après cette digression politique, revenons à la technique.

Le MOx, après irradiation en réacteur

Si le retraitement est l’aval du cycle, le retraitement du MOx est, en quelque sorte, l’aval du deuxième cycle.
Sauf que le retraitement du MOx… On ne le fait pas. On l’a réalisé, à titre expérimental, pour quelques tonnes de combustible d’un client étranger, mais on ne l’a pas industrialisé.

La raison est qu’après le passage du MOx en réacteur, s’il demeure toujours une certaine quantité de plutonium à bord, le mélange d’isotopes qu’il contient est encore moins favorable à son emploi, et notamment en réacteur à eau pressurisée.

Moyennant des évolutions importantes du combustible, ça s’envisage. Dans d’autres réacteurs de nouvelle génération, ça s’envisage aussi (mais ça, on en parlera une prochaine fois !).

Mais à l’heure actuelle, chaque année, on décharge donc 1200 tML de combustible usé, dont 1075 tML que l’on retraite et dont on recycle le plutonium et 125 tML qu’on entrepose. Avec, inéluctablement, des capacités d’entreposage qui se remplissent.

D’où le projet d’EDF de construire une piscine centralisée pour son combustible usé, et notamment le MOx usé, probablement sur le site de la centrale de Belleville-sur-Loire. Afin d’entreposer ce MOx usé en attendant de décider de son devenir : recyclage en réacteur à eau ? En réacteurs du futur ? Retraitement puis stockage géologique des composants ? Stockage géologique direct ?

Bilan du cycle et taux de recyclage

On a à présent les billes pour affiner la notion de « cycle » que l’on se balade depuis six articles.

Il s’agit d’un cycle du plutonium, plus que de l’ensemble du combustible. Un cycle, qui plus est, en « mono-recyclage » : la matière recyclée ne l’est qu’une seule fois. Les anglophones parlent de cycle « twice through » parce que la matière fait deux passages en réacteurs ; c’est la même idée.

Ce n’est pas un cycle qui reboucle davantage, voire à l’infini, qu’on appelle « multi-recyclage ».

Un de ces jours, je ferai un exposé chiffré sur les avantages de ce cycle en mono-recyclage par rapport au « cycle ouvert » (quel nom idiot), mais ce n’est pas le sujet ici.

Quel est, donc, le taux de recyclage de ce procédé ? Recycle-t-on à 1%, comme le disent les antinucléaires, ou à 96%, comme le laisse entendre l’industrie ?

Et bien, tout dépend de ce que l’on compte, et comment on le compte.

Les antinucléaires, eux, veulent vous faire comprendre que le recyclage n’existent pas, que c’est du gâchis sans intérêt de temps et d’argent, une prise de risque inutile, itou itou. Il suffit d’écouter ou lire les interventions de Yannick Rousselet, directeur de campagne antinucléaire chez Greenpeace France, dans les médias : je ne caricature même pas.
Eux comptent la quantité de matière recyclée : 11 tonnes de plutonium, sur 1200 tonnes de combustible, effectivement, ça ne fait pas beaucoup. Même pas 1%.

Les industriels, eux, veulent plutôt valoriser leur travail et leur savoir-faire, et ça se comprend. Ils comptent donc le potentiel énergétique recyclé – et j’adhère à cette façon de faire, puisque je comparais au début de cet article le plutonium au pétrole. Alors on compte 125 tML de combustible recyclé, sur 1200 tML consommées : plus de 10% de taux de recyclage.
On peut aussi compter l’économie en uranium naturel miné, et on retombe sur ce nombre de -10%.

Et quand ceux qui affirment que les mines détruisent l’environnement et tuent les populations locales, crient au néocolonialisme, affirment ensuite que réduire de 10% l’activité minière ça ne sert à rien, je me désole un peu.

Et si des fois sort le nombre de 96%, il faut garder en tête que c’est la teneur en matière valorisable (uranium et plutonium) dans le combustible UOx. Mais valorisable ou recyclable, ça ne veut pas dire valorisé ou recyclé (affirmation valable aussi quand on parle de panneaux solaires, ou d’éoliennes, by the way). Donc les 96% sont certes recyclables, mais pas recyclés : tout le plutonium l’est, et entre 0 et pas beaucoup d’URT l’est, selon les périodes. Et 96% du combustible UOx usé, ce n’est pas 96% du combustible usé, puisqu’il reste tout le MOx usé qui n’est pas retraité.

Bon, retenons 10% de taux de recyclage : est-ce qu’on peut faire mieux, avec notre parc nucléaire actuel et nos usines de retraitement actuelles ?

La réponse est OUI !

Uranium de retraitement

Sinon, je n’en parlerais pas 😁

Vous aviez noté que lors du retraitement, on récupérait un peu plus de 1000 tML d’uranium de retraitement, qu’on avait nommé URT ?

Et bien il se pourrait que ce dernier ne soit pas tombé à 0% d’uranium 235. En fait, il en contient autant, si ce n’est plus, que l’uranium naturel !
Bon, par contre, il est fourni avec des traces de polluants : produits de fission et uranium 236, non fissile et très puissant absorbeur de neutrons.

Mais ça fait 1000 tML par an qu’on ne réutilise pas, alors qu’elles pourraient bien faire grimper notre taux de recyclage ! Surtout qu’au fil du temps, c’est un stock de 30 000 tML qu’on en a fait. Sacrée quantité d’énergie qui dort !

En plus, on sait le réutiliser, EDF l’a expérimenté sur les réacteurs de la centrale de Cruas de 1994 à 2013, avant d’abandonner pour raisons économiques. À l’époque, c’était des entreprises russes, et néerlandaises qui procédaient à l’enrichissement de l’URT (qui devenait alors URE, Uranium de Retraitement Enrichi).
Parce que pour enrichir l’URT, il fallait y aller à coup de centrifugeuses. Or, à l’époque, en France, on n’avait que l’enrichissement par diffusion gazeuse à notre portée.

J’vous remets un petit lien vers l’article sur l’enrichissement, au cas où 😉

Bilan des essais à Cruas : 4350 tML ont été enrichies pour en tirer 540 tML de combustible, consommées dans deux des quatre réacteurs. Fin en 2013, disions-nous, mais EDF prévoit de s’y remettre à partir de 2023 – toujours, cependant, en faisant enrichir l’uranium par des pays étrangers.

Avec les 4 réacteurs de Cruas branchés sur de l’URE, le taux de recyclage grimperait à 16%. Et à partir de 2027, ce sont 3 réacteurs de 1300 MW qui pourraient à leur tour basculer sur de l’URE, poussant le taux de recyclage à 25% ! 10% par le MOx, 15% par l’URT/URE.

Et pourtant, croyez-le ou non, les écologistes traditionnels continueront à se déclarer opposés au recyclage. Les écolos.

Oui, oui, je prends les paris.

Cycle #6 Transport et traitement du combustible usé

Retrouvez le thread d’origine ici.

Préambule

Lorsqu’on a parlé enrichissement, conversion, fabrication du combustible, on avait produit 1075 tML par an d’uranium sous la forme de dioxyde d’uranium, enfournées en réacteur pour environ 3 ans – et donc, évidemment, la même quantité déchargée des réacteurs chaque année.

Après 2 ou 3 ans de refroidissement dans les piscines des BK (Bâtiment Kombustible) des centrales nucléaires, ils sont transportables, et c’est là que le périple recommence.

Bon, là, plus que jamais, on va être dans un modèle franco-français à mort.
Parce que le retraitement, très pratiqué en France, il est aussi pratiqué par les anglais et les russes, les japonais essayent, et… C’est tout. Certains pays le font faire par d’autres, beaucoup ne le font pas du tout et gardent le combustible tel quel en sortie de réacteur.

En préparant ce thread, j’ai fait une moisson phénoménale d’images, donc ça va être ultra visuel, mais je trouve que ce qu’on appelle « l’aval du cycle » en met vraiment plein les yeux parce qu’on connaît ce monde encore moins que les réacteurs.
En plus :
1 – des réacteurs en service, on en a 58 identiques (ou presque), alors que des usines de retraitement, on en a 2 identiques seulement, donc ça a ce côté rare qui est très classe
2 – La France est à la pointe mondiale dans le retraitement, alors que dans les réacteurs, elle est un acteur plus ordinaire, pas forcément très glorieux ces derniers temps. Donc y’a une fierté nationale dont je ne me cache pas 😋

Bref, entrons dans le vif du sujet !

Transport du combustible usé

Notre combustible usé à transporter est extrêmement radioactif. Sans protection, je ne prends guère le risque de me tromper en estimant qu’au contact d’un assemblage, vous prenez une dose mortelle en quelques dizaines de secondes. Ça déconne pas.
En plus de ça, il chauffe.
Donc pour le transport :

  • Protection contre les radiations
  • Dissipation de la chaleur
  • Protection contre les agressions externes

Donc le transport se fait dans des espèces de conteneurs dédiés, qu’on appelle « châteaux ». En voici un exemple.

Celui-ci est probablement un château de combustible usé japonais acheminé par la mer, mais, pour les réacteurs EDF, ils sont transportés en train jusqu’au terminal ferroviaire de Valognes, proche de Cherbourg (Manche, Normandie), dans des wagons dédiés.

C’est d’ailleurs assez stylé de passer en train dans cette gare et de voir ces alignements de massifs blancs. Enfin, stylé dans le style industriel, hein.
De là, ils sont acheminés en camion sur environ 20 bornes jusqu’à l’usine de retraitement d’Orano La Hague.

Tout le long du voyage, départ, arrivée, à chaque chargement ou déchargement (à minima), c’est contrôle radiologique obligatoire : débit de dose au contact, à distance, recherche de contamination à l’extérieur, jusqu’entre les ailettes de refroidissement.

Des transports, il y en a évidemment beaucoup dans la partie amont du cycle, j’en ai pas parlé à cette occasion, mais les même contrôles sont pratiqués, évidemment – même si le débit de dose est plus faible de beaucoup d’ordres de grandeur.
À l’arrivée, après déchargement du combustible, les châteaux ont droit à leur session de toilettage : contrôles, éventuelle décontamination de l’intérieur… On déconne pas là-dessus, j’imagine à peine combien chacun doit coûter 😱

Crédit : E. Larrayadieu

Mais revenons un peu sur le terme « châteaux ». Je ne sais pas d’où vient ce choix de vocabulaire, mais il est approprié : ce sont de monstrueuses forteresses.
Orano parle d’un ratio de 100 tonnes de blindage pour 10 tonnes de combustible transporté – ça déconne pas.
Les américains, d’ailleurs, ont un certain sens du spectacle à ce sujet…

Sont à l’épreuve la tenue à la chute sur plan indéformable, sur un poinçon, tenue à l’incendie, à la submersion.
Tenue à tous les chocs susceptibles d’être rencontrés dans le transport, y compris déraillement du train…

Bref, en cas d’accident, risque de gros dommage… Par destruction de tout ce qui rencontrera le conteneur 😋. Pas franchement par dispersion de son contenu.

Y’a un million de choses à dire sur les transports ; en faisant mes recherches, j’ai trouvé une quantité folle de schémas, d’écorchés de différents type de conteneurs, de vidéos de test… Donc on va s’arrêter là et rentrer dans le vif du sujet du retraitement :p

L’usine de retraitement

Ce dernier, il se pratique donc à l’usine d’Orano La Hague, dans la province du même nom.
D’ailleurs, à tous les gens du milieu : arrêtez d’appeler l’usine « La Hague ».
La Hague, c’est le nom de tout le secteur, en orange sur l’image.

L’usine, c’est le petit rond bleu, donc dites « usine de La Hague », « Orano la Hague », « l’établissement de la Hague », voire même « la Coge » (diminutif de Cogema, l’ancien nom d’AREVA, les gens du coin utilisent encore ce nom parfois), mais s’il-vous-plaît, pas juste « La Hague ».

L’usine de La Hague, donc. On devrait même dire les usines : deux usines jumelles de retraitement (UP3-A et UP2-800), en service ; une usine de retraitement en démantèlement (UP2-400)…
Une station de traitement des effluents en démantèlement (STE2), une autre en service (STE3), et une paire d’installation de recherche, en démantèlement aussi.

Le tout adossé au Centre de Stockage de la Manche (CSM exploité par l’ANDRA), site de stockage de déchets FMAVC.

Voilà la bête. L’espèce de terrain de golf, c’est le CSM. Toute la partie haut-droite de l’image, l’usine de La Hague.
Partie inférieure gauche, des entreprises qui font partie de la constellation d’industrie entourant l’usine.

Centre de stockage de la Manche

Une autre image.
Les plus hautes cheminées font environ 100 m. On est pas sur du discret, mais on est loin des 120 m de certaines tours aéroréfrigérantes des centrales, et loin des 300 m de certaines centrales à charbon ou biomasse.

Pour une visite aérienne guidée :

(J’ai un peu honte, mais faut bien avouer que la vidéo est cool, on voit vachement bien, et puisque c’est public… J’vais pas me priver).

Alors, le retraitement, comment ?

Le procédé de retraitement

Et bien le combustible, à son arrivée, on commence par le décharger de ses conteneurs, puis… On le met à refroidir en piscine. Oui, encore. Des piscines assez énormes, cependant. Le tout de manière automatisée ou à distance, évidemment.

Une pluie de photos dans les deux tweets suivants, parce que ces piscines sont vraiment belles.

Parce que je sais qu’on va me poser la question sur le remplissage des piscines, un levier de peur qu’apprécient beaucoup les antinucs en ce moment (« Les déchets nucléaires débordent ! »), on a déjà fait un point sur ce sujet ici.
On est pas au débordement, mais bien remplis. Et sachant qu’on ne retraite pas au même rythme qu’on consomme, on va vers un remplissage, pour le moment. À l’horizon 2030 d’après l’IRSN.

Nos 1075 tMl d’oxyde d’uranium (UOx) irradié séjournent là environ 5 ans, pour continuer la décroissance des produits radioactifs aux vies les plus courtes et donc diminuer la production thermique et l’irradiation.

Ensuite seulement vient le retraitement.

D’abord, le procédé mécanique, qui consiste à couper les embouts des assemblages d’une part, puis cisailler le combustible en petits tronçons d’environ un petit pouce de long (le doigt, pas l’unité britannique).

Les tronçons tombent dans une roue à godets, elle-même dans une cuve de très grandes dimensions mais très faible épaisseur, qu’on appelle le dissolveur. Le tout rempli à moitié environ… D’acide nitrique.

La roue tourne progressivement, permettant la dissolution de toute la matière contenue dans le combustible, puis la récupération de toutes les coques (les morceaux de gaine découpés). Les coques et embouts sont rincés et séparés du procédé.

Crédit : P. Lesage

Ensuite, elles sont compactées sous la forme de galettes métalliques, et déposée dans des fûts dédiés : les colis standard de déchets compactés.
Ceux-ci constituent la majorité des déchets de moyenne activité à vie longue de l’industrie électronucléaire.

Crédit : E. Larrayadieu

Une petite photo de la roue du dissolveur, à l’époque de la construction de l’usine je crois. Admirez ses dimensions : environ 4m de diamètre pour, quoi… 30 cm de large, à vue de nez ?

Revenons à la matière « nucléaire ». Vous vous souvenez de la composition en sortie de réacteur ?
Environ 95% d’uranium, 1% de plutonium, 4% de produits de fission, 0,1 % d’actinides mineurs ?

Bah l’uranium et le plutonium, ça a de la valeur énergétique… Donc on veut les séparer du reste.
Mais pour le moment, tout est sous forme d’une solution d’acide nitrique et d’un tas de merdes (l’incroyable variété des produits de fission) dissoutes dedans.

Et là… On entre dans tout un procédé de chimie qu’il est hors de question que je détaille, ce thread est déjà long !
Et de toute façon, Orano a réalisé une EXCELLENTE vidéo qui, en 10 min, explique super bien tout le procédé de traitement. Aucune chance que je fasse mieux, alors je vous invite vraiment à aller voir.

Et sinon, en bref : à la fin du traitement, on récupère l’uranium sous forme liquide (nitrate d’uranyle) qu’on expédie de la sorte pour entreposage ou recyclage (le recyclage… On y viendra dans un futur article).

Le plutonium, sous forme de poudre (dioxyde de plutonium) que, de même, on va expédier pour recyclage (avec une exigence énorme de sécurité, en plus de la sûreté, car il représente un risque de détournement pour des fins militaires).

Et enfin, les produits de fissions (PF) et actinides mineurs (AM) finissent dans des solutions concentrées qu’on va sécher sous forme de poudre, incorporée à de la fritte de verre, pour vitrifier toutes ces saletés.

Et la vitrification, c’est cool.

Vitrification

Quand on vitrifie, nos matières ne sont pas emprisonnées dans un enrobage de verre : elles font partie du verre ! Nos PF et AM font partie des molécules qui constituent le verre.

Ce n’est pas un confinement mécanique, mais des liaisons chimiques qui assurent la cohésion du tout !

Du coup, lors du stockage (mais on en parlera le moment venu), c’est pas en cassant le verre qu’on peut faire fuire les particules radioactives, mais en corrodant le verre. Easy 🙃

Ce verre, il est coulé dans des conteneurs dédiés (colis standard de déchets vitrifiés), et constitue l’essentiel (la totalité ? 🤔) des déchets ultimes de haute activité à vie longue de l’industrie électronucléaire.

Ci-dessous, côte-à-côte, un colis standard de déchets compactés (coques et embouts, moyenne activité) et un colis standard de déchets vitrifiés (PF et AM, haute activité). Vous comprendrez à l’œil la notion de « colis standard » ^^.

Voilà, sans filtre, ce à quoi ressemble la quasi-totalité des déchets radioactifs française (ils concentrent 3% du volume mais 99,9% de la radioactivité des déchets).

Vous noterez qu’on est à cent lieues des bidons jaunes dégoulinants de liquide verdâtre dont sont adeptes les écologistes politiques pour illustrer le sujet…

Parenthèse photographique

Avant de terminer cet article sur le traitement, on va simplement, dans la suite, se rincer l’œil avec quelques séries de photographies.

Ici, une cuve où l’on fait s’évaporer les produits de fission pour les concentrer. La photo est à l’envers, d’ailleurs (les serpentins que l’on voit sur le dessus sont, en réalité, sous la cuve).

Crédit : S. Jezequel

Là, une colonne pulsée, servant à l’extraction de l’uranium et du plutonium. On retrouve, comme dans le dissolveur, cette volonté d’avoir de grandes dimensions mais une faible largeur. Le but est de maximiser la perte de neutrons pour éviter les réactions en chaîne au sein du plutonium et de l’uranium dissouts.

Crédit : S. Jezequel

Là, je sais pas trop où on est, je partage juste pour la beauté de la quantité de tripaille (ça va être joyeux au démantèlement).

Bon, en vrai, je sais : on est quelque part au niveau de la conversion et le conditionnement du plutonium, de la solution à la poudre.

Crédit : S. Jezequel

Conteneurs vides avant vitrification, et leur outil de préhension.

Crédit : E. Larraydieu

Cellules de coulée du verre dans les conteneurs.

Crédit : P. Lesage
Crédit : S. Jezequel

Transport d’un fût rempli (on voit qu’il a chauffé un peu) et soudage du couvercle.

Crédit : S. Jezequel
Crédit : S. Jezequel

Entreposage des fûts en puits ventilés dans différents bâtiments de l’usine, et vue sur le fond des puits, et notamment les dispositifs d’amortisseurs (en cas de chute d’un colis dans le puits) et de refroidissement.

Crédit : C. Dupont
Crédit : EURODOC CENTRIMAGE
Crédit : EURODOC CENTRIMAGE

Conclusion et bilan matière

Tous ces déchets de moyenne et haute activité à vie longue, ils resteront entreposés là jusqu’à ce que soit mise en service un exutoire définitif. Ils sont donc, de toute évidence, destinés à Cigéo.

Je ne vous parle pas de tous les déchets technologiques (tenues, outils…), ou ceux produits par le traitement des effluents (boues cimentées…), sinon on en a pour la nuit…
Mais vous savez donc à quoi ressemblent la quasi-totalité des déchets destinés au stockage profond.

Concluons par un « bilan matière ».

Nous avions déchargé 1075 tML d’UOx usé. On en extrait 1% de plutonium, disons 11 tML de Pu. 95% d’uranium, disons 1020 tML d’U. Et on sépare 4% de PF et AM, soit 45 tML de PF et AM, qu’on vitrifie pour faire environ 150 m3 de HAVL. Les coques et embouts que l’on a découpés ajoutent 190 m3 de MAVL.

Avant de terminer pour de bon, un mot sur l’intérêt de ne pas avoir laissé le plutonium dans la vitrification.

Historiquement, il y avait l’intérêt militaire du plutonium, mais aujourd’hui ? Pourquoi s’embêter tant pour 11 tonnes par an ?

Il y a, certes, l’intérêt de sa valeur énergétique, mais on en parlera dans le prochain article, sur le recyclage.
Là, je vais aborder la question du point de vue de la gestion des déchets.

Et bien le plutonium, c’est un émetteur alpha. Donc qui émet des particules lourdes, donc chargées en énergie, mais vite arrêtées, donc qui déposent très vite leur énergie… Et donc font chauffer.
Ce qui impose, à la vitrification, de réduire la concentration en déchets dans le verre, et donc à produire de plus gros volumes de déchets.

Ainsi, la séparation du plutonium et la vitrification, ça permet de réduire considérablement le volume des déchets HAVL.
Un facteur 5, par rapport à un scénario où on stockerait le combustible sans retraitement !

Plus important : c’est un émetteur alpha à vie longue. Donc si on le laisse dans le verre, il sera à peine réduit dans 10 000 ans, alors que beaucoup de produits de fission auront disparu en quelques siècles.
Et il est ultra nocif par contamination interne (inhalation ou ingestion).

En fait, à échéance de quelques dizaines de milliers d’années, les actinides sont responsables de quasiment toute la radiotoxicité des déchets à vie longue. Il ne reste quasiment qu’eux.
Et cette radiotoxicité, avec le plutonium, c’est d’un facteur 10 qu’elle augmenterait !

Donc séparer le plutonium permet de faciliter le stockage (puissance thermique et volume + faibles), et, en plus, réduit la nocivité des déchets à très long terme – ou la durée de confinement à tenir pour atteindre un certain niveau de radiotoxicité.

Vu l’enjeu, vu l’attachement de la population à ce sujet, et vu l’impact (facteur 10 !), je terminerai dans un grand élan d’analyse technique et objective :

Le retraitement, c’est cool.

Cycle #5 Le passage en réacteur, ou l’irradiation du combustible

Retrouvez le thread d’origine ici.

Après avoir extrait l’uranium, l’avoir converti puis enrichi et en avoir fait des assemblages combustible prêts à l’emploi, il est temps d’enfin produire de l’énergie.

Cela consiste en général à enfourner nos 1200 tML dans nos 58 REP, on laisse mijoter 3-4 ans et l’on revient voir ce à quoi ça ressemble. Mais on va tenter de balayer ça en seulement quelques minutes, hmm ? 😁

On va voir très brièvement comment on gère la partie centrale du cycle du combustible : le passage en réacteur. 

Pour rappel, on avait dans les 200, 250 assemblages d’environ 250 crayons de combustible, dans un cœur de réacteur français. Qui vont goûter la foudre d’Ouranos et Pluton, sous la forme d’une réaction en chaîne de fission nucléaire.

Des trucs radioactifs vont décroître, des trucs fissiles vont fissionner, et d’autres trucs vont gober des neutrons et transmuter – ou pas.
Par ou je commence, moi ?
Par la matière noble, disons. L’uranium 235, qui constitue 3 à 5% de l’uranium qu’on enfourne, grâce a l’enrichissement.

Devenir de l’uranium 235

Lui, il est fissile, donc une partie des atomes va fissionner en libérant de l’énergie ainsi que, pour chaque noyau fissionné, deux (ou plus rarement trois) produits de fission, et des neutrons.
L’énergie est essentiellement portée par les produits de fission, sous la forme d’énergie cinétique, et qui va être cédée sous la forme de chaleur à la masse du combustible puis se transmettre à l’eau du circuit primaire.
Les neutrons, quant à eux, vont aller se perdre (sortie du cœur, absorption…) ou provoquer d’autres fissions.
Et les produits de fission, eux, vont… Comment dire…

Faire tout et n’importe quoi.

Faut bien comprendre : les produits de fission, chimiquement, ils représentent la moitié du tableau périodique à eux seuls. C’est un chimie de l’enfer là-dedans !
Certains vont rester sous une forme chimique pure, stable… Mais gazeuse, (xénon, krypton…).
D’autres font faire des agglomérats métalliques.
D’autres vont s’assembler pour former des molécules plus ou moins exotiques.

Le tout, avec une immense diversité isotopique : tous les types de radioactivité, toutes les échelles de demi-vies imaginable.

Bref, ces produits de fission vont être l’incarnation du mal, et on est bien content de les voir confinés :

  • par notre minuscule gaine en zirconium,
  • par l’acier du circuit primaire,
  • par le béton du bâtiment réacteur.

(Trois barrières de confinement minimum, toujours).

En plus de cela, on a une toute petite partie de l’uranium 235 qui va absorber des neutrons sans fissionner. Très peu, mais ce n’est pas négligeable : ça va former notamment de l’uranium 236 qui a tendance lui-même à pas mal absorber de neutrons, ce qui étouffe peu à peu la réaction en chaîne.

Passons à l’uranium 238.

Devenir de l’uranium 238

Lui, il n’est pas fissile, à priori. Ou très, très peu : une infime partie va fissionner, mais l’essentiel va rester tel quel.

Mais une partie de l’uranium 238 va être plus fourbe : elle va absorber des neutrons, et donc devenir de l’uranium 239.
Demi-vie : 23 minutes.
Descendant : neptunium 239.
Demi-vie : 2,3 jours.
Descendant : plutonium 239.
Demi-vie, 24 000 ans.

Et voilà les enfants comment on produit le plutonium !
Donc là, dans un réacteur type UNGG, RBMK ou CANDU, on peut extraire le combustible pour avoir du plutonium bien frais.
Dans nos REP par contre c’est un peu la misère de tout arrêter, dépressuriser et ouvrir la cuve, donc on ne récupère par le plutonium 239 trop vite, on le laisse mijoter.
Or, le plutonium 239 est fissile. Donc une partie va fissionner, au même titre que l’uranium 235, et aussi contribuer à produire de l’énergie.
À retenir : une partie de l’uranium 238, non fissile, finit par se transformer en plutonium qui est, lui, fissile, et joue donc dans la production d’énergie.

Par contre, parfois, le plutonium 239 absorbe aussi des neutrons sans fissionner et devient plutonium 240, 241… Et leurs descendants. Et parfois même des trucs plus exotiques comme de l’Americium, du Curium, du Californium. On les appelle actinides mineurs, on y reviendra.

Et notre pastille de combustible, comment elle vit tout ça ? Les contraintes chimiques, thermiques, mécaniques ?

Évolution de la pastille de combustible

Je vais pas entrer dans le détail, mais je tiens à le mentionner.

La pastille, elle prend cher. Gonflement, déformation, craquage, limite effritage, elle n’est pas gâtée. Outre les réactions chimiques variées qui se ont lieu avec l’apparition de produits de fission, elle soumise à des contraintes thermiques énormes, avec une variation de plusieurs centaines de degrés à chaque millimètre du rayon.
Notamment, elle a le mauvais goût de gonfler au point de venir s’appuyer sur la gaine, avec des risques de la percer – un gros sujet d’étude dans la conception du combustible.

Composition finale du combustible

Initialement, notre combustible, c’était, en gros, 5% de 235U et 95% de 238U. Après irradiation, ça serait plutôt :

  • 1% 235U
  • 1% de plutonium, majoritairement 239Pu
  • 4% de produits de fission en tous genres
  • 95% 238U

Ainsi que des traces, à hauteur d’environ 0,1% (au passage, je parle toujours de pourcentages en masse de métal lourd initial) d’actinides, une famille d’éléments chimiques, autres que le plutonium et l’uranium. Le terme « mineur » vient de leur toute petite proportion.
Et combien de temps pour tout ça ?

Et bien… 3 ou 4 ans, quand même. Oui, le combustible passe 3 ou 4 ans en cuve.
Mais on recharge tous les 12 à 18 mois !?

Notion de gestion de cœur

En fait, au fur et à mesure que le combustible passe du temps en réacteur (on dit qu’il est irradié), son efficacité se dégrade : d’une part, sa teneur en uranium 235 baisse, et, d’autre part, sa teneur en absorbeurs de neutrons (on les appelle « poisons neutroniques ») augmente.
Parmi eux, l’uranium 236 dont on a déjà parlé, certains isotopes du plutonium, et certains produits de fission.
Et passé un certain temps, impossible de soutenir la réaction en chaîne : trop de neutrons se font absorber par rapport au nombre de neutrons créés par les fissions.
C’est pour cela que, lorsque l’on dit que le combustible est usé, ou épuisé, il reste malgré tout de la matière fissile. On ne peut pas aller chercher chaque atome d’uranium 235 avec une réaction en chaîne.

Autre paramètre a prendre en compte, assez intuitif : on a un cœur à peu près cylindrique, donc les assemblages combustibles au centre vont bouffer beaucoup plus de neutrons, fissionner beaucoup plus et s’user beaucoup plus vite.

Donc, dans l’idéal, il faudrait pouvoir en continu retirer le combustible au centre quand il est pourri, déplacer peu à peu le combustible de la périphérie vers le centre, et réapprovisionner avec du combustible neuf la périphérie
Sauf que là, la technologie des REP avec sa cuve à 155 bar (même problème pour les REB), notre cas idéal, on s’le met dans l’cululu. On ne peut pas ouvrir la cuve tous les jours, tout décaler vers le centre, et refermer la cuve avant de redémarrer.

Donc le compromis qui a été trouvé, entre utilisation optimale du combustible et perte de temps minimale, c’est d’ouvrir une fois tous les 12 à 18 mois, retirer le tiers ou le quart du combustible, au centre, le plus pourri, décaler tous les autres assemblages de l’extérieur vers le centre, et mettre un tiers ou un quart de combustible neuf en périphérie.

Bon, là par contre je caricature à mort. Ça varie pas mal selon les réacteurs, l’enrichissement, etc.
Mais vous comprenez le principe, la logique qu’il y a derrière, c’est l’essentiel 🙂
Et en fonction de la durée de fonctionnement de chaque réacteur, on va pas ouvrir exactement le même nombre de cuves chaque année et charger exactement la même quantité de combustible. C’est pour ça que depuis le début, je suis parti sur 1200 tML par an, mais c’est une référence, pas une constante.

Compléments sur les plans de charge

Une autre raison pour laquelle cette description est caricaturale, c’est qu’on ne répartit pas tout à fait en 3 ou 4 zones annulaires concentriques. C’est pas « tout le combustible frais sur le bord, tout le plus usé au centre », c’est juste une tendance.

Il y a d’autres paramètres à prendre en compte qui nous éloignent de cette tendance. Par exemple, la présence éventuelle de MOx, qu’on ne peut pas disposer à notre guise dans le cœur. Il faut aussi prendre en compte l’emplacement des grappes de contrôle, qu’on aimerait éviter de mettre dans des assemblages trop usés (parce qu’ils sont peu réactifs, donc les étouffer un moindre effet).

Et il faut éviter de trop irradier la cuve, aussi. De ce point de vue, mettre le combustible le plus frais et réactif en périphérie, au contact de la cuve, c’est une idée à la con 😁
C’est entre autres pour ça que les configurations de cœur ont évolué avec le temps…

Et c’est une des raisons pour laquelle nos réacteurs vont largement dépasser les durées de vie que leurs concepteurs visaient 😉

Bon, et après ça ?

Déchargement du cœur

Tous les 12 ou 18 mois, donc, on sort définitivement un quart ou un tiers des assemblages combustible, qui ont passé 3 ou 4 ans en cuve, à 3 ou 4 positions différentes.

Ce combustible extrait, on le garde sous eau. Parce que la masse de produits de fission qu’il contient, ça produit un max de radioactivité et de chaleur.
Et l’eau, outre le fait que ça soit un bon moyen de garder le combustible pas trop chaud, ça fait aussi un bon écran aux radiations. Et c’est pas cher. Tout bon.

Et, toujours sous eau, on le transfère via un tunnel dans le bâtiment combustible où il trouve sa place en piscine.
Au passage, on utilise des sigles pour les bâtiments d’une tranche nucléaire. En l’occurrence, on va du BR, pour Bâtiment Réacteur, au BK. Pour Bâtiment Kombustible.

No troll 😁

Et ces piscines, qu’on appelle parfois piscine de désactivation, elle vont garder le combustible sous eau pendant un an ou deux encore.
Le temps que les produits de fission à vie très courte se soient désintégrés (d’où le nom « désactivation »), et que donc le combustible dégage moins de chaleur.

À ce moment, on pourra sortir les assemblages de l’eau pour les sécher et les enfourner dans un conteneur adapté à leur refroidissement et la protection contre les rayonnements, et transporter tout ça à l’usine de retraitement.

Et ça, ça sera l’affaire de notre prochaine étape du cycle 😉
(Qui ne tourne toujours pas rond, je sais 😁, c’est encore une belle ligne droite Amont ➡ Aval à ce jour !)

Cycle #4 La fabrication du combustible

Retrouvez le thread initial ici.

Aux dernières nouvelles, nous avions, à partir de 7000 tML d’uranium sorti de la mine puis converti à plusieurs reprises avant de l’enrichir, tiré environ 1075 tML d’uranium enrichi entre 3 et 5%, ainsi qu’un gros tas d’uranium appauvri.

Après enrichissement

Nous allons continuer à malmener l’uranium enrichi. Sous sa forme d’UF6 encore chaud et donc gazeux, on va commencer par un petit refroidissement pour retrouver la forme d’une poudre cristalline bien plus transportable.

Puis l’on va lui faire remonter le Rhône, du Tricastin à Romans-sur-Isère (en gros, de Orange à Valence). Là, Orano va laisser sa poudre à Framatome, à l’usine FBFC (historiquement : la Franco-Belge de Fabrication du Combustible). À FBFC, il va falloir défluorer l’UF6, puis l’oxyder pour en faire du dioxyde d’uranium, de formule UO2.

C’est sous cette forme qu’il sera exploité en réacteur, sous la forme d’une… céramique. Fragile, mais super stable, chimiquement parlant. Ce qui évitera notamment d’avoir à gérer les risques d’oxydation au contact de l’eau, par exemple (dans un réacteur à eau, c’est sympa).
C’est aussi une forme très stable thermiquement : il faut le chauffer comme un malade, plus de 2 800 °C, pour fondre l’UO2, ce que les chieurs de la sûreté (à vot’ service) aiment bien, quand on parle d’études d’accidents graves. En contrepartie, ça conduit mal la chaleur, et donc ça chauffe plus facilement – on ne peut pas tout avoir.

Et l’UO2, on va également le récupérer en poudre.

Du dioxyde d’uranium à l’élément combustible REP

Là, il va se faire torturer : ajustement de la porosité, compactage, concassage, granulation. 
Puis pressage à haute pression dans des moules pour lui donner une forme de pastille.
Frittage (cuisson à haute température).
Puis, rectification des dimensions et contrôles.Le résultat, ce sont ces petites pastilles toutes croquignolles, de 13,5 mm de long par 8,19 de diamètre.

Je rappelle que je me place dans un cadre très chauvin, et je vous parle donc de combustible REP pour les réacteurs EDF français. Le combustible que je vais vous décrire est un peu différent dans les REB, et n’a rien à voir dans les autres types de réacteurs.

Ces pastilles, on va les empiler dans des tubes, qu’on appelle crayons, en alliage de zirconium.
Le zirco, c’est un choix lié aux contraintes mécaniques, chimiques, et à l’absorption des neutrons.

On les empile donc dans des tubes qui font, du coup, environ 1 cm de diamètre.
Et quatre à cinq mètres de long, fermés à leur extrémité par un bouchon soudé, et rempli d’hélium sous pression pour combler les interstice entre les pastilles et les gaines.
Réalisez bien, 1 cm de diamètre pour 4 à 5 mètre de long !

Ces crayons, on va les regrouper dans ce qu’on appelle des « assemblages combustible ». Des packs de 17×17 crayons (dans nos REP) rigidifiés par plusieurs grilles tout du long.

Ce qui nous fait, pour chaque assemblage, 264 crayons de 250-300 pastilles.
Et si 17×17 crayons ne devraient pas faire 264, c’est parce qu’il y a 25 crayons qui sont remplacés par des « tubes guides » en acier inox. 
On peut voir sur cette image un assemblage avec les tubes guides, les grilles, et sans crayon.

Outre une fonction structurelle, pour maintenir la géométrie de l’assemblage, ces tubes ont une fonction de contrôle.
Pour commencer, dans chaque assemblage combustible, le tube-guide central est dédié à l’instrumentation (sauf sur les assemblages de l’EPR où celui-ci a été remplacé par un crayon combustible).
Et dans environ un tiers des assemblages, les tubes-guides servent à guider (d’où le nom) des grappes de contrôle.

Cette grappe est un faisceau de crayons fait d’un matériau qui absorbe très bien les neutrons (alliage Argent-Indium-Cadmium, ou carbure de bore, par exemple).
Elle sert soit à réguler la puissance du cœur, soit à déclencher l’arrêt de la réaction en chaîne en s’enfonçant brutalement dans le cœur.
Et on appelle « l’araignée » la grappe qui retient les crayons absorbants d’un même assemblage. Ça s’explique assez bien :

Et voilà à quoi ressemble un assemblage, en termes d’échelle !

Vous me mettez comme ça, côte à côte, en essayant de faire un truc vaguement circulaire, 157 assemblages de 4 m de long, et vous avez un cœur de réacteur de 900 MW.

Si vous m’en calez, dans une configuration semblable, 193 de 4,8 m de long, c’est un cœur de réacteur de 1300 MW.

Pour les assemblages de 900 MW et 1300 MW, on est sur 700 et 800 kg par assemblage, dont 460 et 540 kgML d’uranium.

Et, chaque année, ce sont 1200 tML d’uranium qu’on enfourne dans les réacteurs EDF français, soit, à la louche, 2400 assemblages, 600 000 crayons, 3000 km de pastilles.

Mais ce qui se passe dans le cœur, ça sera pour le prochain billet.

Pour l’heure, regardons de plus près ces chiffres.

En chiffres : de la pastille au kilowattheure

Dans un cœur de réacteur de 1300 MW (c’est la puissance électrique fournie, ça veut dire que la chaleur produite, c’est 3900 MW), on se retrouve avec 240 km de crayons.
Cela représente 16 millions de pastilles, qui, en fonctionnement, produisent 3900 millions de watts de chaleur.
Autrement dit, chaque pastille délivre 250 W.

Une pastille, qui ne fait même pas la taille d’une phalange d’auriculaire, délivre 250 W de chaleur à elle seule. 3 pastilles, vous avez de quoi faire chauffer vos repas façon micro-onde. 10 ou 15 pastilles, c’est l’appartement que vous chauffez.

Et en électricité ?

Le combustible de notre réacteur, avant d’être « épuisé », va avoir fourni environ 25 TWh d’électricité (on ne parle plus de chauffage, là, mais bien d’électricité). Vingt-cinq milliards de kilowattheures, soit 1600 kWh par pastille.

Quand j’ai rédigé le thread en mi-novembre 2018, j’avais relevé ma consommation personnelle d’électricité (chauffage électrique inclus). Je tournais à une vingtaine de kilowattheures par jour.

Autrement dit, je consommais une seule pastilles tous les 80 jours.

Et c’est ce que je trouve magnifique dans l’énergie nucléaire. Cette incroyable quantité d’énergie produite par cette minuscule quantité de matière.
1600 kWh d’électricité, ou 4800 kWh de chaleur.
4800 kWh de chaleur, c’est la chaleur de la combustion de dix gros pleins d’essence (450 L, environ).

Dans une pastille.

Cycle #3 Conversion et enrichissement de l’uranium

Retrouvez le thread initial ici.

Nous en étions donc restés, après l’article précédent, avec 7000 tonnes-métal-lourd d’uranium concentré qui convergent chaque année de tous les continents vers la France, pour satisfaire notre appétit énergétique.

Combustible et énergie

Avant de parler cycle, quelques ordres de grandeur autour de ce tonnage. 7000 tonnes, à l’échelle individuelle, ça peut nous paraître énorme, alors il me paraît pertinent de les recontextualiser à l’échelle du pays. Par ailleurs, certains pourraient être effrayés par les transports de matières dangereuses, dont ces 7000 tML d’uranium. Ou pourraient trouvé rédhibitoire de devoir importer une telle quantité. Alors relativisons.

7000 tML d’uranium, ça fait 8 300 tonnes importées sous la forme d’U3O8.
À comparer à notre consommation de ressources énergétiques fossiles, qui s’élevait en 2017 à :

  • 76 900 000 tonnes de pétrole ;
  • 29 400 000 tonnes de gaz ;
  • 13 600 000 tonnes de charbon

Il y a un saut de plusieurs ordres de grandeur. À parts assez similaires dans le mix énergétique primaire français, le tonnage de ressources fossiles est de l’ordre de la centaine de millions de tonnes, là où le tonnage d’uranium est de l’ordre de la dizaine de milliers de tonnes.

Ceci étant posé, revenons au traitement de l’uranium. Vous le savez probablement, pour alimenter nos REP en uranium, il faut au préalable enrichir celui-ci.
On parlera plus tard d’enrichissement, mais à ce stade, il faut savoir qu’afin d’enrichir l’uranium, il faut que celui-ci soit sous forme gazeuse.

Conversion

L’uranium, on le reçoit soit sous forme de yellowake, soit sous forme de poudre d’U3O8. Une forme très pratique pour le transport, mais alors on est loin de la forme gazeuse. Et l’U3O8, à pression atmosphérique, il faut déjà le chauffer à 1200 °C pour le liquéfier, alors la forme gazeuse, n’en parlons pas (en vérité, elle n’existe pas : la molécule change spontanément avant de l’atteindre). Quant au yellowcake, le point de fusion est à 1600 °C.

Bref : enrichir des gaz radioactifs, probablement très réactifs chimiquement et portés à 2000°C, ça ne tente personne. Donc il faut changer cette forme chimique, et alors arrive la conversion.

La forme chimique gazeuse retenue pour procéder à l’enrichissement, c’est l’hexafluorure d’uranium : UF6. Solide à température et pression ambiante, mais gazeux à 60°C, donc une température très raisonnable en procédé industriel.

L’UF6 a d’autres, hem… Qualités amusantes :

  • radioactif, évidemment, mais pas trop, puisque ça reste de l’uranium, naturel ou faiblement enrichi ;
  • hautement toxique ;
  • ultra réactif à l’eau : il suffit d’une atmosphère humide pour déclencher une réaction chimique violente et immédiate.

Outre un composé fluoré à base d’uranium, cette dernière réaction libère des quantités abondantes d’acide fluorhydrique. Très toxique, et vaguement agressif : du genre à dissoudre le verre.

Bref, l’UF6 , c’est charmant à manipuler.
Du coup, on y va progressivement : l’uranium concentré acheminé à l’usine de Malvési, dans l’Aude, est fluoré une première fois pour former du tétrafluorure d’uranium, UF4 , sous forme de cristaux verts.

C’est d’ailleurs la seule étape où l’uranium est vert, tel que le présente souvent la culture populaire.

L’UF4 aussi, en présence d’eau, il s’oxyde en formant du HF, mais c’est une réaction lente, qui le rend assez facile à gérer. 

Enrichissement

C’est donc sous cette forme qu’il est acheminé de Malvési vers l’usine Comurhex II (fraîchement inaugurée par Orano et rebaptisée « Usine Philippe Coste ») sur le site nucléaire du Tricastin, dans la Drôme.

C’est là qu’il est fluoré à nouveau pour former l’UF6 et être transporté à l’usine d’enrichissement à proximité, toujours sur le site du Tricastin. 

Pour l’enrichissement, tout le monde a probablement déjà entendu parler des centrifugeuses, notamment grâce à l’Iran.
Ce qui est moins connu, c’est qu’en France, l’enrichissement, jusqu’en 2011, ne se faisait pas par ultracentrifugation, mais par un procédé dit de « diffusion gazeuse ».
Que je ne vous expliquerai pas 😋
Mais ce qu’il faut savoir, c’est qu’il consomme ÉNORMÉMENT d’électricité : entre deux et trois des quatre réacteurs de la centrale nucléaire adjacente étaient dédiés à alimenter l’usine d’enrichissement !
Celle-ci, nommée usine Georges-Besse exploitée par la société Eurodif, avait cependant une capacité de production d’uranium enrichi pour l’équivalent d’environ 100 réacteurs, en France et dans le monde, donc.
Ce procédé produisait aussi énormément de chaleur. Les deux tours aéroréfrigérantes de la centrale du Tricastin, visibles depuis l’autoroute A7 sont en réalité des tours de refroidissement de cette usine, pas de la centrale.

Le démantèlement de l’usine produira, entre autres, 150 000 tonnes d’acier très faiblement contaminé : des débats sont à attendre sur la possibilité de recycler cet acier, moyennant éventuellement décontamination, plutôt que de tout traiter en déchet radioactif comme la loi l’exige.
Une histoire de seuil de libération (qui n’existe pas en France) évoqué par @AStrochnis ici :

Aujourd’hui, l’enrichissement, on le fait par ultracentrifugation. Le principe est à priori simple : on fait tourner un volume d’UF6 à très haute vitesse, et, par effet centrifuge et par convection, l’uranium 238, plus lourd que l’uranium 235, se retrouve préférentiellement en périphérie.

En faisant ça avec des dizaines ou centaines de centrifugeuses en cascade, on finit par avoir un bon taux de séparation des deux isotopes.

Et ce procédé, outre une modularité plus grande permise par le système de cascades de centrifuge, a un intérêt énorme en termes de consommation électrique. L’usine Georges-Besse II, où il est mis en œuvre, consomme 50 à 60 fois moins d’électricité pour une production d’uranium enrichi inférieure d’environ un tiers à celle de la première usine (autrement dit, elle est adaptée à notre parc nucléaire, sans guère de surplus pour l’export).

Suppléments d’illustration

Suite à la rédaction de ce thread, j’ai constaté que je disposais, via mon cours de Cycle du Combustible, d’un certain nombre d’illustrations, et notamment de photographies des installations citées.

Ce cours est d’ailleurs accessible publiquement.

Je vous invite à retrouver les photographies et leurs légendes directement dans le thread, dans le tweet ci-dessous et les 5 suivants.

Niveaux d’enrichissement

Il faut savoir que lorsqu’on enrichit, on produit évidemment de l’uranium enrichi, et aussi de l’uranium appauvri. Or, l’uranium n’est pas appauvri à 0% d’uranium 235 (qu’on appellera U5 dans la suite).

Et les teneurs en U5 des deux flux d’uranium en sortie de l’usine ont énormément d’importance !

Bon, la teneur dans l’enrichi, c’est une demande du client, EDF, qui a besoin de X % pour ses réacteurs, pas autre chose.
3 à 5% selon les réacteurs et les modes de gestion du combustible.

Par contre, la teneur en U5 dans l’appauvri…Rappelez-vous qu’initialement, notre uranium naturel compte 0,7% d’U235. Et quand on l’appauvri ? Entre 0,2% et 0,3%, en général.

Et c’est là l’astuce : à enrichissement fixé, on peut avoir plusieurs niveaux d’appauvrissement.

La logique, c’est que si on se fatigue pas trop à appauvrir, on va consommer davantage d’uranium naturel.
Si on pousse vraiment l’appauvrissement, on va économiser de l’uranium… Mais l’enrichissement va coûter plus cher ! C’était d’autant plus vrai avec la diffusion gazeuse, en raison de la consommation d’énergie, mais c’est un raisonnement toujours applicable avec l’ultracentrifugation.

Pour illustrer, quelques chiffres.

Pour produire 1000 tML d’uranium enrichi à 4%, si on appauvrit à 0,3% d’U5 l’uranium naturel, on en consomme 9 000 tonnes (et donc on se retrouve avec 8000 tonnes d’appauvri).

Par contre, si on pousse les centrifugeuses jusqu’à ce que l’appauvri tombe à 0,2%, on n’a besoin que de 7400 tonnes d’uranium naturel. 18% d’économie !

En contrepartie, le travail d’enrichissement est 24% plus intense et coûteux.

Il y a donc perpétuellement un travail d’équilibre économique à assurer entre le coût de l’uranium naturel et le coût de l’enrichissement. 
Quand l’uranium naturel ne coûte rien, comme en ce moment, on en consomme énormément, et on économise beaucoup sur l’enrichissement.
Par contre, si le prix de l’uranium devait commencer à grimper, on pourrait compenser un peu, en réduisant notre consommation d’uranium naturel, à consommation d’enrichi égale, juste en enrichissant davantage. 

Cet aspect rend compliqué d’estimer la durée que peuvent assurer les réserves d’uranium mondial, tout dépend du coût ! Et ça, on en parlait dans cet article.

Devenir de l’uranium appauvri

On était partis dans un « cycle » avec, en entrée, 7000 tML d’uranium naturel. Typiquement, on va en tirer 1075 tML d’U enrichi, et le reste d’appauvri.

Cet appauvri, on va soit le re-convertir en U3O8 en l’entreposer à Bessines (79) ou au Tricastin, soit le garder sous la forme d’UF6 dans des conteneurs très soigneusement étudiés pour, entreposés au Tricastin.

Et vous noterez que je parle d’entreposage, pas de stockage. En effet, l’appauvri n’est pas considéré comme un déchet à ce jour : on va, déjà, en consommer une petite partie dans le procédé de recyclage, mais, surtout :

  • On peut toujours le ré-enrichir, en poussant par exemple l’appauvrissement de 0,3% à 0,2%, si on se retrouvait en difficultés d’approvisionnement en uranium (on parle de « réserve stratégique »)
  • On pourrait entièrement le consommer en réacteurs surgénérateurs. Le stock actuel d’Orano en France, il est de 310 000 tML d’uranium appauvri.

Avec des réacteurs surgénérateurs (lesquels n’existent pas à ce jour à échelle industrielle, mais la faisabilité a déjà été démontrée), ce sont des siècles, voire des millénaires de consommation permis par cette quantité d’uranium appauvri (ce sujet sera l’objet du dernier article de cette série sur le cycle).

Donc on entrepose cette matière nucléaire. On pourrait en avoir environ 400 000 tML à horizon 2030, 470 000 tML à horizon 2040.

Et son utilisation future est tributaire d’un développement futur du nucléaire en France.
Vous imaginez donc l’enjeu que ça représente, si le nucléaire est désavoué et qu’il faut finalement considérer cette matière comme déchet !
Gros sujet de réflexion politique également, donc.

Et on va en rester là pour aujourd’hui, avec notre enrichi sur les bras 🙂

Prochaines étapes : en faire du combustible, enfourner tout ça dans nos réacteurs, faire cuire à feu vif 3-4 ans !